1000 idées pour la Corse

1000 idées pour la Corse et pour le monde

Idée n°5 : penser avec énergie

with 6 comments

Comprendre notre époque (mais est-elle vraiment différente des autres ?) nécessite un certain effort et une certaine rigueur dans la réflexion. Cela implique de ne pas être paresseux dans l’analyse, et d’essayer d’élargir autant que possible le point de vue.

La question du problème énergétique (plus précisément électrique) de la Corse en est une excellente illustration.

Quand on parcourt différents documents sur la question du devenir énergétique de la Corse (documents officiels et documents alternatifs), on découvre de profondes divergences de vue entre les acteurs, mais aussi un large consensus sur un certain nombre de constats, qu’on pourrait résumer ainsi : la demande d’électricité augmente rapidement, il faut la satisfaire, et surtout ne pas revivre l’hiver 2005. Les divergences portent sur la manière de produire ou d’importer suffisamment d’électricité, avec actuellement une opposition fioul lourd contre gaz naturel. La question des énergies renouvelables ne fait pas réellement débat, tout le monde est pour, même si certains points techniques ne sont pas tranchés, comme le couplage des barrages et des champs éoliens et photovoltaïques.

S’il semble évident qu’il est préférable de produire au gaz plutôt qu’au fioul lourd, s’il est certain qu’il faut assurer un approvisionnement suffisant à la Corse et ne pas revivre 2005, que le renouvelable a un bel avenir en Corse, un certain nombre de points cruciaux semblent échapper au débat, ou ne pas y prendre la place qu’ils méritent.

La question de la maîtrise de l’énergie (MDE)

Il n’est pas dans mon propos de dire que ce point a été oublié (la collectivité territoriale mène des actions de MDE régulièrement), mais de souligner à quel point il est fondamental que cette question soit abordée de manière systématique, et non au coup par coup.

Ces dernières années, la croissance de la demande d’électricité a été de l’ordre de 3 à 4% annuels (consommation totale et appel de puissance de pointe). On peut y voir l’effet d’un dynamisme retrouvé de l’économie Corse, ainsi que de la croissance démographique, et c’est sans doute vrai. Il n’en reste pas moins qu’il faut bien se figurer ce que cela représente : avec une puissance de pointe appelée proche de 500MW, 3 à 4% représentent pas loin de 15 à 20MW de demande supplémentaire annuels. Cela veut dire que tous les 8 ans environ, si ce rythme de progression se poursuit, il faudra rajouter une centrale de type Vazzio, ou un cable de type SARCO tous les 6 ans, ou un barrage du Rizzanese tous les 4 ans.

Nous aurions alors le choix entre nous transformer peu à peu en une vaste centrale électrique ou devenir une île définitivement sous perfusion. D’autant plus que le choix du renouvelable multiplie les installations nécessaires : là où une centrale thermique fonctionne 6000 ou 7000 heures par an, un champ éolien ou photovoltaïque tourne 2000 à 2500h au mieux. Un barrage se vide en quelques semaines. Pour remplacer une centrale thermique de 140MW (le Vazzio), il faut installer peu ou prou 500MW de solaire ou d’éolien, et surtout, s’accomoder du fait que le vent souffle quand il veut, et que le soleil dispense son maximum d’énergie à distance respectable des vagues de froid.

Si nous voulons assurer un avenir énergétique à la Corse, il est impératif de nous fixer un objectif ambitieux de maîtrise de la demande d’électricité (essentiellement de la puissance de pointe). 1 à 2% est indispensable, se rapprocher de 0 serait très profitable.

La question de l’autonomie

Cette question a été déjà pensée par nos dirigeants. L’objectif de faire reposer notre approvisionnement sur le trépied importations/centrales thermiques/renouvelable est intéressant. Une telle volonté de diversification est louable, et deux tiers d’électricité produite en Corse pour un tiers d’électricité importée semblent assurer une certaine fiabilité de l’offre. C’est sans doute vrai à court terme et dans des situations de crise modérée. A plus long terme ou dans une situation de crise grave, c’est plus problématique.

En effet, si on est un peu plus sévère sur l’analyse, on peut déjà faire remarquer que les centrales thermiques fonctionnent avec des matières premières importée. Nous ne produisons encore ni fioul ni gaz en Corse. En situation de crise, rien ne nous permet d’affirmer que nos importations de matière première ne seront pas durablement affectées. Nous avons déjà vécu en Corse des situations de blocus, il n’est pas certain que cela ne se reproduise jamais.

De plus, le troisième pied est un peu fragile. Un tiers de puissance installée en renouvelables, c’est excellent. Nous pouvons être légitimement fiers d’approcher ce chiffre en Corse, nous sommes de ce point de vue parmi les meilleurs au monde. Mais nous l’avons vu, il faut trois ou quatre Watts renouvelables installés pour remplacer un Watt thermique. La contribution du renouvelable à la fourniture d’électricité globale de la Corse est bien inférieure au chiffre de la puissance installée. Je laisse le soin aux lecteurs de trouver le chiffre exact, je doute qu’il dépasse 10%. Et on l’a vu, si les barrages peuvent efficacement être mobilisés aux moments cruciaux des pics hivernaux, ce n’est pas le cas du solaire et de l’éolien. Coupler ces trois sources d’énergie est cependant possible avec un rendement honorable, mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

La question de l’approvisionnement

Dérivant directement de la question précédente, elle pose le problème de la compréhension des enjeux internationaux. Quoi que nous fassions, nous resterons dépendants, pendant un certain temps encore, soit du marché des hydrocarbures, soit du nucléaire, pour l’essentiel de la production d’électricité. Nous pouvons cependant diminuer cette dépendance, si nous avons la volonté de le faire, et une vraie motivation pour cela.

La motivation, la voici : le marché international de l’énergie risque de se tendre fortement à assez court terme. Il y a bien des raisons de penser que l’approvisionnement en pétrole connaîtra une tension sévère dans les années 2010 (je développerai ce point dans un autre article). Le gaz deviendrait alors une alternative de plus en plus prisée, et donc de plus en plus chère. Le développement du nucléaire va probablement connaître un second souffle, mais les oppositions seront fortes à un développement massif, et à juste titre. On ne peut pas exclure par ailleurs des difficultés d’approvisionnement en uranium à moyen terme. Le développement des pays émergents engendrera, s’il se poursuit, une demande accrue de toutes les matières premières.

C’est donc vers une situation de tension sur les approvisionnements énergétiques que nous nous dirigeons. Il faut prendre en compte cette réalité aussi dans les réflexions locales.

La question du prix

Qui dit marché tendu, dit augmentation des prix. Bien sûr, il y a des moyens de se prémunir en partie de ces augmentations, par exemple en contractant des contrats à long terme (pour parler des moyens honorables de le faire). J’espère bien que nous saurons négocier comme il se doit nos contrats de gaz quand nous nous connecterons au GALSI. Cependant, aussi long soit-il, un contrat a toujours une fin, et la renégociation risque d’être d’autant plus difficile que le prix payé précédement se sera éloigné des réalités du marché. Il faudra donc être très vigilant sur cette évolution, et, si possible, savoir l’anticiper.

Une autre réalité peu connue mais aux conséquences majeures est celle du prix payé par le consommateur corse aujourd’hui. Il faut savoir que la production et l’acheminement de l’électricité en Corse sont très coûteux. En conséquence, pour que le consommateur corse n’ait pas à payer une facture trop importante, l’électricité nous est subventionnée à plus de 50%. Nous payons en Corse l’électricité moins de la moitié de son prix de revient. C’est un généreux cadeau financé par tous les clients d’EDF (si vous regardez votre facture d’électricité, vous y trouverez une ligne intitulée « service public de l’électricité » : chaque Français paye pour que des régions comme la nôtre puissent disposer d’électricité au tarif national). Cela coûte environ 70 millions d’euros annuels à EDF (enfin, à ses clients).

Mais ce cadeau généreux a un effet pervers : disposant d’une électricité artificiellement bon marché par rapport à d’autres énergies ou par rapport à un effort de MDE, la Corse s’est massivement tournée vers le chauffage électrique, et a négligé l’isolation de ses logements. Première conséquence : une consommation de pointe hivernale disproportionnée, très éloignée de notre consommation d’étiage. Cela conduit à la nécessité d’installer des moyens de production « de pointe » (c’est-à-dire qui ne servent que très peu) supplémentaires. Ca coûte encore de l’argent. Seconde conséquence : la compétivité des sources d’énergie locales (le bois-énergie, par exemple), est sérieusement diminuée. Encore un secteur économique qui ne se développe pas comme il le devrait.

Un trépied vraiment solide

Une fois toutes ces questions posées, on comprend bien que la résolution du problème énergétique corse ne peut pas faire l’économie d’un plan ambitieux prenant en compte tous les aspects de la question. Et les axes de travail deviennent clairs, s’ppuyant sur un nouveau trépied :

La maîtrise de l’énergie devient le premier pilier de ce plan. L’énergie la plus propre, la moins chère, la plus satisfaisante à tous les niveaux, c’est celle qu’on ne gaspille pas. Pour que l’offre réponde à la demande, on peut augmenter indéfiniment l’offre. On peut aussi dompter la demande. Or, la Corse dispose de marges de manoeuvre importantes en termes d’économies d’énergie, du fait même de son retard actuel. L’objectif croissance zéro de la consommation de pointe pendant un certain nombre d’années n’est pas une utopie (je reviendrai en détails sur ce point dans un autre article). Nous devons cesser de courir après la demande, ce qui nous conduit chaque fois à mettre en place dans l’urgence des solutions inadaptées.

Le second pilier est constitué par le développement d’une économie locale liée à l’énergie : production à partir de ressources disponibles en Corse, telles que le bois-énergie (ou la biomasse en général), le solaire thermique (sans passage par la case électrique), les autres énergies renouvelables. Mais aussi conversion du secteur du BTP vers des techniques de pointe,de MDE. Ce peut être une stimulation considérable pour ce secteur d’activité essentiel, stimulation tout aussi importante que le tourisme, mais aux effets bien moins ravageurs, et plus durable. Stimulation aussi pour le secteur de la formation, et pour celui de la recherche. Ainsi que pour la production de matières premières, car nous avons en Corse quelques matériaux utilisables en construction.

Le troisième pilier est constitué par une véritable volonté politique, concrétisée par une réallocation complète des ressources. Les budgets aujourd’hui alloués régulièrement à de nouvelles sources d’approvisionnement électrique doivent être redirigés vers le financement des deux premiers piliers. La notion de service public de l’électricité doit être transformée en notion de service public de la maîtrise de l’énergie. La subvention correspondante doit être transformée en une aide massive à l’amélioration de l’habitat (en commençant par les ménages les moins fortunés) et à la mise en place d’alternatives maîtrisables localement. On pourrait paraphraser une maxime célèbre du développement : « si tu me donnes de l’électricité aujourd’hui, j’aurai chaud aujourd’hui ; isole ma maison, j’aurai chaud pour longtemps« .

Avec ces trois pilliers, nous deviendrons plus autonomes en énergie, nous développerons une véritable activité locale, nous nous préserverons des pollutions et des nuisances, nous cesserons d’être dépendants de subventions. Petit à petit, le parc de production étant relativement stable, nous pourrons remplacer, à mesure qu’elles deviennent obsolètes, nos unités de production par des unités plus propres et utilisant des ressources plus fiables.

Cet exemple de réflexion peut être renouvelé pour toutes les questions qui se posent à nous : l’eau, les déchets, le tourisme, l’emploi, l’agriculture, la santé, l’économie, le développement durable… La seule énergie que nous ayons le droit de dépenser sans compter, c’est celle que nous mettons à essayer de comprendre les choses, et à agir pour les améliorer.

Retrouvez tous les articles de 1000 idées pour la Corse.

Sauf mention contraire, le contenu de cette page est sous contrat Creative Commons

Publicité

Written by fabien

9 octobre 2009 à 13:18

6 Réponses

Subscribe to comments with RSS.

  1. Pour avoir des chiffre sur l’électricité en corse, voir les statistique de RTE :
    http://www.rte-france.com/htm/fr/mediatheque/vie_publi_annu_stats_2008.jsp

    p.21 du dernier rapport (2008), on a les chiffres pour la corse :
    500GWh d’hydraulique, 34 autres renouvelables, 861 de fossile, sur un total de 1400 en gros . Soit 38% d’ENR, mais il n’y a pas de quoi se vanter, puisque la densité de population est faible, il y a des forts dénivellé, il y a du vent, du soleil, bref, de quoi faire beacoup de renouvelable, et il reste donc 62% de fossile. Et puis bien sur, quand la demande augmente, c’est avant tout le fossile qui est plus sollicité, dont on va augmenter les capacité de production, et dans une faible mesure, les « autres renouvelables » (que l’hydraulique).
    Sur les pointe de courant : les chiffres doivent être peu près ça pour la france : la consommation de la pointe de l’année (environ 90GW pour 2008 )augmente de 2000 MW par an environ, et de 500MW/an pour la consommation la plus faible de l’année (32GW). Ce qui fait un rapport de 1/4. Ce qui, comme tu l’as dit, faire tirer de plus en plus sur le fossile. C’est encore plus vrai pour la corse.

    Moi, je fais pas de politique. Je n’ai plus la force. J’essaye de réduire ma propre dépendance à l’énergie et d’expliquer la démarche au gens que je connais, et c’est déjà ça. Si certains (des gens, des régions, des pays, même si j’y appartient)veulent garder leur aiguilles de perfusion et même s’en ajouter d’autres, ben, je n’ai rien envie de faire pour eux…
    Quand on voit comment est géré ce méga réseau, je me dit, enfin je pourrai le dire aux autres : n’essayeons pas d’augmenter la surface chauffée. Mettons un poele à bois si on en a pas. Un pull. Et éventuellement de l’isolation.

    Jef

    9 octobre 2009 at 14:04

  2. Vous dites : La question des énergies renouvelables ne fait pas réellement débat.

    Je relativiserais en disant que le pied thermique du trépied énegétique Corse, compte tenu de l' »urgence » à remplacer les centrales thermiques, focalise le débat.

    Pour autant, en parrallèle nous avons réussi à sortir les STEP des oubliettes où EDF souhaitait les maintenir.

    C’est quand même un moyen de donner de mutualiser hydraulique, photovoltaîque et éolien qui sont nos seules ressources locales, pour moins consommer du fossiles. En les sortant du statut de fatales, on pourrait même imaginer dépasser ce 30% qui comme vous le soulignez est loin d’être effectif.

    ARIA LINDA

    9 octobre 2009 at 14:08

  3. ça n’a rien à voir, mais à l’occasion de l’envoi du lien ci-desssus, me promenant sur le site de RTE, je tombe sur cette page :
    http://www.rte-france.com/htm/fr/CEM_HTML/cem/faq.jsp#Q35
    où RTE argumente de mille manières sur l’absence de lien entre champ électrique et problèmes de santé (je n’ai pas le courage d’en lire le dixième).
    à noter aussi surtout le curieux mot de la fin de cette page, dont le ton tranche résolument avec les propos scrupuleusement objectifs et laconiques de toutes les publications et pages de site que j’ai vues de cette institution…et je trouve ça drôle…

    Jef

    9 octobre 2009 at 14:12

  4. Des économies d’énergie et une meilleure isolation pour faire baisser la consommation, oui! Mais il faut être réaliste ce n’est pas avec des « y a qu’à, faut qu’on ». Le legislateur doit intervenir et contraindre. Pour la consommation en surtaxant par exemple au delà d’un certain seuil et pour l’isolation en donnant des permis de construire sous la stricte condition d’utiliser certains matériaux. Alors seulement ce sera peut être possible!

    tex

    9 octobre 2009 at 20:12

  5. Sacré Jeuf, me faire éplucher de bon matin les statistiques de RTE.
    Après recoupement, voici ce que je trouve pour l’hydraulique : une autre source donne plutôt 400GWh.
    Et la même source (RTE) donne 253GWh pour 2007. Il semble donc qu’en fonction des années, selon les conditions climatiques, je suppose, on ne puisse pas compter sur autant.
    Si on compte l’électricité importée, la consommation totale est de l’ordre de 2000GWh, 1400 c’est juste la production locale.
    Quoi qu’il en soit, j’ai été un peu pessimiste sur ce que peut apporter l’hydraulique : c’est en fonction des années entre 12 et 25% du total consommé, c’est pas mal.
    D’autant plus, comme le souligne Aria Linda, que le couplage des différentes énergies renouvelables permettrait de régulariser cette production. A ce moment-là, on pourrait se fixer 30% de la consommation globale et de la consommation de pointe pour les renouvelables. A condition que cette consommation soit maîtrisée, sinon, cette proportion baissera.
    C’est d’ailleurs ce que prévoyait EDF dans le dernier rapport que j’ai lu d’eux : malgré un gros effort d’installations nouvelles, ils prévoyaient une légère baisse de la proportion de renouvelables.

    Il faut souligner cependant les efforts de la CTC, qui lance campagne sur campagne pour la promotion de la MDE. Il est simplement dommage que cela ne s’inscrive pas dans une démarche globale avec des objectifs précis, et reste du domaine de l’incitatif, comme le regrette Tex.

    fabien

    10 octobre 2009 at 09:02

  6. Honte à moi, j’ai commis une erreur grossière en assimilant la prodution corse à sa consommation, erreur dont se gausseront les énergéticiens pendant au moins deux décennies…
    En même temps, je ne savais pas qu’il y avait des cables qui amenait de l’électricité sur l’ile.

    Pour avoir un conseil gratuit, objectif et indépendant sur l’énergie, notament une rénovation thermique, voir un Espace Info Energie, il y en a un à l’Ile Rousse (si je me souviens bien, sur la route qui part vers l’est…)

    NOTE FABIEN : effectivement, route de Bastia, juste à côté du marchand de vélos.

    Jef

    20 octobre 2009 at 09:59


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :