Idée n°8 : cesser le feu
La nouvelle est tombée ce matin : les deux incendiaires de Calenzana ont été condamnés à 3 ans de prison ferme. La commune et un certain nombre de citoyens s’étaient portés partie civile dans l’affaire. Il est révolu, le temps où des élus intervenaient pour prendre la défense des pyromanes. Loin de moi l’idée de me réjouir qu’on ait mis des humains en prison, mais au moins le signal est clair : on n’est plus impunément incendiaire en Corse.
Dans les argumentaires entendus ce matin, soulignant la gravité des faits, il y a bien entendu la mise en danger d’autrui, mais aussi celui-ci : à Calenzana, départ du GR20, des touristes pourraient renoncer à leur randonnée s’ils apprenaient qu’il y a eu des incendies dans le secteur. De la destruction de la faune, de la flore, des sols, rien. Le touriste semble être désormais la seule espèce vraiment protégée par ici. Du moins lorsqu’il s’agit d’argumenter de la gravité des faits, c’est l’aspect économique qui semble le seul à même de convaincre.
Nous sommes dans un monde où, si vous voulez plaider que c’est mal d’allumer des incendies, il vous faudra démontrer que cela peut avoir un impact économique négatif. La Balagne a pu brûler et rebrûler, des pompiers professionnels, volontaires ou bénévoles ont pu y perdre leur vie, personne n’a jamais réussi à mobiliser sérieusement contre cet état de fait. Mais on réalise soudain que ça pourrait rebuter le touriste, tout ce noir, et là, la rigolade est finie.
Pourtant, le principal problème à long terme des incendies n’est pas son impact sur la psychologie des juilletistes, mais bien celui sur l’environnement, à commencer par les sols.
Le feu agit négativement sur les sols de plusieurs manières : l’effet le plus évident, c’est qu’il les met à nu, et les livre à l’érosion. Les premières pluies automnales et le vent peuvent en emporter une part importante. D’autant plus que la chaleur aura été intense lors du passage du feu et les racines des plantes, qui retiennent normalement les sols, détruites profondément.
Un autre effet, moins connu, concerne la capacité de renouvellement du sol : la végétation, durant sa croissance, capte du carbone dans l’atmosphère, par photosynthèse. Ce carbone servira à produire le glucose, la cellulose, puis la lignine, qui sont les composants majeurs des plantes. En mourant ou simplement en perdant leurs feuilles, les plantes libèrent leur cellulose et leur lignine, qui rejoignent le sol. Là, les différents êtres vivants les transforment en de grosses molécules constituées principalement de carbone : celles qui composent ce qu’on appelle l’humus (l’acide humique, l’humine, etc…).
L’humus, en se liant à l’argile par l’intermédiaire de cations (calcium, magnésium, fer…), forme ce qu’on appelle le complexe argilo-humique, un ensemble de molécules fortement liées les unes aux autres, et donc très stable, qui est le vrai secret du sol. Un sol de bonne qualité, c’est-à-dire un sol qui possède un complexe argilo-humique bien structuré, est quasiment indestructible par des moyens naturels : il résiste à la pluie, au vent, au soleil, et son érosion est très lente.
L’autre fonction majeure du complexe argilo-humique est de servir de réservoir de nutriments : minéraux, oligo-éléments et nutriments organiques y sont piégés, et sont libérés progressivement pour être mis à disposition des plantes sous forme soluble.
Un premier incendie, sur une zone couverte d’une végétation ancienne, n’est pas trop grave : le sol est à nu, mais le complexe argilo-humique est bien structuré, il ne se passe pas grand-chose, surtout si la pente n’est pas trop forte. Au contraire, la végétation détruite relargue massivement ses minéraux dans le sol. On se retrouve alors avec une grande quantité de nutriments solubles, immédiatement disponibles. C’est pour cette raison que l’herbe repousse plus drue après un feu et qu’on a, de longue date, utilisé le feu dans un cadre pastoral.
En revanche, le carbone qui était contenu dans les plantes, et qui aurait dû normalement venir se transformer en humus, est perdu : la combustion le rejete dans l’atmosphère sous forme de CO2, le gaz à effet de serre qui a rendu Al Gore multimillionnaire. Les pertes d’humus dues à l’érosion ne sont plus compensées. Le stock d’humus dans le sol commence à baisser.
Si les incendies se répètent, peu à peu, la quantité d’humus commence à devenir insuffisante pour maintenir le complexe argilo-humique. A ce moment-là, on peut basculer très vite dans une situation d’érosion intense. Les argiles et les cations sont lessivés. A terme, il peut ne rester que les éléments les plus grossiers : les sables, les pierres. J’ai vu, sur certaines zones de balagne, 20 ans après le dernier incendie, des balafres encore visibles dans la végétation : simplement, à cet endroit-là, le feu était passé une fois de plus que dans les zones environnantes. Une fois de trop. 5 ou 6 incendies en 30 ans n’avaient pas eu d’impact trop grave. Le sixième ou le septième avait tout changé. Il ne restait alors plus assez d’éléments dans le sol pour permettre à la végétation de pousser correctement. Il faudra des milliers d’années pour réparer ça.
Une part importante de la Balagne, surtout au-dessus de 500m d’altitude, a subi des dizaines de feux successifs : des incendies estivaux, mais aussi des écobuages localisés, à l’automne, menés par les bergers. Là, le complexe argilo-humique est totalement déstructuré, le sol a quasiment disparu, la productivité est très réduite, des espèces telles que le genêt corse (a coria), repoussent inlassablement, contraignant les bergers à les éliminer… par le feu. Nous verrons dans un autre article comment on pourrait sortir de ce cercle vicieux, ou au moins réduire l’impact du feu. Contentons-nous pour l’instant de prendre conscience que cette situation n’est pas satisfaisante et devrait être résolue. Ce sera déjà bien.
Mais le problème ne s’arrête pas là. Les incendiaires estivaux et les bergers automnaux ne sont pas les seuls responsables de la destruction de nos sols. Tous, ou presque, nous y avons participé et y participons régulièrement, par le simple brûlage de nos déchets végétaux. Ces plantes, que nous coupons régulièrement, que nous débroussaillons systématiquement, représentent l’avenir du sol, l’humus futur. Toute cette matière devrait revenir au sol. En la brûlant pour nous en débarrasser, nous appauvrissons nos sols.
Certes, l’impact d’un débroussaillage est bien inférieur à celui d’un incendie. Le sol n’est pas totalement mis à nu, il ne subit pas sur toute sa surface de chaleur intense. Seulement à l’endroit où l’on brûle les végétaux. Mais, répétée année après année, la suppression de la biomasse finit par apppauvrir le sol autant qu’un incendie. Sur des milliers d’hectares (débroussailler 50m autour d’une maison, comme on devrait légalement le faire, revient à éliminer une bonne part de la végétation sur un hectare, et il y a des milliers de maisons isolées), ce n’est certainement pas négligeable.
Sans compter que la fumée issue des combustion de plantes, surtout si elles sont mal séchées, pollue significativement. Même si on ne profite pas du feu de végétaux pour se débarrasser de quelques matières plastiques (autre pratique encore trop souvent constatée), la fumée contient une bonne quantité de particules fines toxiques. Sans compter le désagrément de devoir vivre, dès octobre venu, avec des odeurs de fumée quasi-quotidiennes, qui ne dérangent pas que les asthmatiques.
Il faudrait réussir à stopper cette pratique, et les pouvoirs publics devraient placer, en tête des équipements à financer, les broyeurs de végétaux. Car broyés, tous les végétaux que nous brûlons aujourd’hui sont d’excellents amendements de sols, puisque c’est leur vocation première. Nous fixer pour objectif de ne brûler notre biomasse que pour nous chauffer, et la broyer dans tous les autres cas, serait un progrès immense pour la Corse. L’impact économique d’un tel changement, puisqu’il faut évoquer l’économie pour avoir une chance de convaincre, serait sans doute très positif.
Il est urgent d’apprendre à cesser le feu.
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salut
sans relever la partie très intéressante et très juste de vulgarisation des effets du feu sur la végétation et les sols de Méditerranée, j’aimerais rebondir sur la première partie de l’article : « le tourisme avant tout »
je voudrais faire un parallèle avec la révolution politique de Oaxaca (État du Mexique voisin du Chiapas, tout aussi pauvre et abandonné que celui-ci). les médias français et occidentaux en général, n’ont parlé de ce formidable élan commun des indiens, des instituteurs et des jeunes pour la terre, la dignité et la reprise en main de leur destinée qu’en diffusant quelques articles sur … l’effet négatif sur les entreprises liées au tourisme. on occultera les milices de l’état, ses meurtres dans la rue la nuit, ses viols et ses enlèvements encore non élucidés.
Cela se passait en … 2005 !
sachez-le : où que vous soyez, votre dignité et le vivre ensemble ne valent rien si quelques touristes en short pointent à l’horizon
énervément
lottà 🙂
lottà
14 octobre 2009 at 18:46
Tout à fait d’accord : cesser le feu !
On a longtemps cru au mythe du feu purificateur.
C’est en son nom que la France a construit le plus d’incinérateurs de déchets. Elle a une capacité largement suffisante mais veut continuer a en construire, en prétendant que les nouveaux incinérateurs ne polluent plus. Mensonge ! (mais il faut bien faire vivre l’industrie, la santé publique ne pèse pas lourd).
Valoriser les matières organiques sans les brûler est une bonne solution : oui aux broyeurs de végétaux, au compostage.
cocasse
14 octobre 2009 at 21:03
« Ces plantes, que nous coupons régulièrement, que nous débroussaillons systématiquement, représentent l’avenir du sol, l’humus futur. Toute cette matière devrait revenir au sol. En la brûlant pour nous en débarrasser, nous appauvrissons nos sols. »
Je connais bien le sujet.
Ainsi depuis quelques années, je m’applique à essayer de composter ou faire du paillage avec les branches de taile de haie, en en laissant le moins possible au feu.
Avec les tailles de la fin de cet été, j’ai réussi à ne rien bruler, même si c’est compliqué (notament pour broyer ou pailler avec les truc épineux), ce qui a donné le tas en photo ici http://forum.decroissance.info/viewtopic.php?t=7739
(et même si un moins plus tard je découvre ce tas, y compris le gazon à l’intérieur, tout sec, pas décomposé, et ça m’ennuye un peu, mais bon).
Mai là, j’ai du brulé quelques feuilles, de trois arbres atteint du feu bactérien, pour éviter de le propager.
ça fait une fumée qui sent très fort en effet… D’ailleurs, je recommencerai pas, à bruler les feuilles. Et plutot que d’utiliser des broyeur, je propose de laisser les tailles sur quelques mètres carré de prairies, ou de foret pour les zones qui ne risque pas de bruler, et laisser se décomposer tout seul, en étalant les petites branches (les grosses servent à chauffer les maisons dans des poêles et cuisinières).
Jef
20 octobre 2009 at 10:20
[…] » On n’insistera jamais assez lourdement sur l’importance qu’il y a à arrêter de brûler des végétaux, alors j’insiste […]
Idée n°25 : s’inviter au broyage « 1000 idées pour la Corse
30 novembre 2009 at 16:40
Comme Jef le souligne, il faudrait penser aussi à cesser le feu nucléaire ou fossile donc arrêter de broyer les végétaux ! Une ballade en forêt permet d’observer que l’ensemble des bois coupés/cassés à même le sol sont mous et friables. Un coup de pied et hop le « broya » est fait. Donc sans avoir de solution exacte il doit bien y avoir moyen de mettre en oeuvre des techniques de décomposition rapide des coupes de bois sans les broyers… Perso je mets tout au compost, les tailles (d’agrément pour la plupart) d’une année au compost et tous les 6 mois il ne reste rien, j’ai les gros verts blanc (cétoïne dorée) et les cloportes à profusion et ça bosse bien ! Seul les gros bois restent mais je les réinjecte ds le tas(la forêt elle, ne fait pas dans le détail !). Bref le broyeur après une expérience plutôt musclé n’est plus pour moi… J’ai broyé aussi du compost mal décomposé et j’aurai pas aimé être un insecte lors de cette phase dévastatrice, j’utilise le tamis maintenant (une cagette de marché en plastique est parfaite). Il faut savoir sans doute retrouver la patience et longueur de temps font plus que …(Morale qui conclut la fable de La Fontaine intitulée Le Lion et le Rat.)
Tom
2 novembre 2010 at 17:17
[…] manière de gérer l’eau, par exemple, ou à l’aube de la saison du jardinage, sur notre redoutable passion du feu, ou encore cet autre, à propos d’un texte de Ghjuvan’Terramu Rocchi, qui nous a […]
Idée n°133 : évoluer | 1000 idées pour la Corse
11 mars 2018 at 13:46