Idée n°22 : sauver aujourd’hui
Sauver demain, le petit livre de Toni Casalonga et de ses deux compères retraités de l’Oréal, est passionnant et intrigant à plusieurs titres.
Par la personnalité de ses auteurs, improbable rencontre d’un défenseur et acteur acharné de la culture Corse et d’anciens cadres supérieurs d’une multinationale, qui, interpellés par la lettre d’une petite fille, s’inquiètent du monde qu’ils vont lui laisser.
Par l’originalité de certaines de leurs idées, telles que leur proposition de banque de l’eau (s’ils m’y autorisent, je reprendrai ici un jour quelques-unes de leurs suggestions).
Mais surtout par l’étonnant mélange de lucidité, de sagesse, mais aussi de naïveté des auteurs, découvrant soudain l’étendue du désastre, mais ne pouvant se départir de l’optimisme qui les a guidés toute leur vie. Optimisme qu’ils diagnostiquent comme générationnel : « Cette insouciance de l’avenir, cette confiance dans le progrès que nous a offert la vie, nous ne les avons pas retrouvées chez nos propres enfants« .
C’est là à mon sens la constatation la plus juste de l’ouvrage, et je la partage totalement : la génération de mes parents est née dans la pauvreté de la guerre et de l’immédiat après-guerre, et a connu une permanente progression de son niveau de vie, acquise à la force du poignet. Elle en a retiré un optimisme inoxydable en sa capacité à améliorer les choses et à choisir son destin.
La mienne est née dans une société incroyablement riche, mais où déjà se dessinaient les premières lézardes, et où elle ne maîtrise rien. Elle ne peut que constater la précarité grandissante de sa situation, et sa difficulté à agir sur les événements. Partagée entre l’espoir laissé entre les mains des scientifiques (ils vont bien nous trouver quelque chose) et le sentiment profond que non, décidemment, ce n’est pas par la technologie et la consommation que l’on s’en sortira. Car nous ne confions même plus au progrès l’espoir de nous offrir un monde meilleur, mais tout juste celui d’éviter la catastrophe.
Ma génération, quand elle n’est pas abrutie par la poursuite d’une consommation toujours plus vaine, sait que c’est aujourd’hui qu’il faudrait sauver, pas demain. Mais n’a plus aucune carte en main, si ce n’est celle de la désertion.
Car c’est aujourd’hui, pas demain, que des dizaines de jeunes et de moins jeunes peinent à trouver un emploi ou un logement. Que les emplois offerts ont de moins en moins de sens, au point que les employés se suicident sur leur lieu de travail. Que les paysans disparaissent et les paysages avec eux*, que les incendies font rage chaque été en Méditerranée.
C’est aujourd’hui, pas demain (et ça fait même quelques décennies), que les maladies dites » de civilisation » progressent**, que, de plus en plus nombreux, de plus en plus jeunes, nous ne pouvons vivre sans les béquilles chimiques de l’industrie pharmaceutique. Industrie aux méthodes de plus en plus douteuses, dont les progrès sont de plus en plus souvent de façade***,
C’est aujourd’hui, pas demain, qu’à chaque pluie des milliers de mètres cubes de sols fertiles finissent dans la Méditerranée, que les murs de pierres sèches bâtis par nos anciens s’effondrent, que des milliers d’espèces disparaissent, qu’on nous interdit d’utiliser les recettes de nos grand-mères, qu’on confisque le vivant**** pour en tirer profit et pouvoir.
Ne nous demandons plus quel monde nous allons laisser aux « générations futures » : ma génération, celle qui suit immédiatement le baby-boom est la première de ces « générations futures » qui héritent d’un monde ravagé, d’une société en perte de repères et de valeurs, d’une santé plus mauvaise que celle de la génération précédente, et de quelques autres cadeaux des générations précédentes.
N’y voyez pas un appel à la haine intergénérationnelle. Plus que jamais, si nous voulons avoir une chance de nous en sortir, c’est tous ensemble. Les jeunes avec les vieux, les actifs avec les retraités. Mais nous avons le droit de demander des comptes à nos parents, et d’exiger d’eux qu’ils participent dès maintenant à sauver ce qui doit l’être, pour que nous puissions espérer bâtir demain.
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* Lire Le village métamorphosé, de Pascal Dibie.
* Un exemple du paradoxe de « Sauver demain » : intuitivement, pour les auteurs, nés à peu près pendant la seconde guerre mondiale, il est évident que notre santé progresse. Ils le disent par deux fois au moins, page 27 : « la lutte contre la maladie progresse chaque jour davantage », et page 42 : « …associés, le progrès technologique et la croissance économique génèrent plus de nourriture, d’hygiène et de services sanitaires, ce qui amène directement à l’amélioration de la santé… ». Pourtant, dès qu’ils se basent non plus sur leur ressenti, mais sur de brutales statistiques, ils sont bien obligés de constater, page 57, que « A âge égal, le nombre de cancers se serait accru de 40% en 20 ans. Le nombre de cas d’asthme a doublé en vingt ans et affecte un enfant sur trois en Europe. L’infertilité gagne : un couple sur sept éprouve des difficultés pour procréer. »
** Lire à ce sujet Le grand secret de l’industrie pharmaceutique de Philippe Pignarre (à part le paragraphe où l’auteur énonce une énorme connerie sur l’alimentation, c’est très bien documenté).
*** Un autre exemple de différence d’appréciation, peut-être générationnelle : les auteurs de Sauver demain voient dans les banques de semences installées vers les pôles une « véritable arche de Noé du vivant » (page 90). Il me semble que les membres de ma génération pensent de plus en plus que ces banques de semences sont une manière de confisquer le vivant au profit de quelques entreprises, qui détruisent la biodiversité par ailleurs.
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ce site plante, et je suis énerver de rcopier, j’avais laissé un commentaire qui disait en plus long :
ta dernière phrase me rappelle que j’ai fait de la désobéissance filliale, avant-hier, en éteignant à l’arrosoir un feu de feuilles qu’avait commencé mon père. Et j’ai fait rejoindre le compost au tas de feuille, non mais.
jeuf
23 novembre 2009 at 17:58
Ca plantait peut-être parce que j’étais en train de mettre en ligne le n°23. Sinon, en général, WordPress marche pas trop mal.
fabien
23 novembre 2009 at 18:41