1000 idées pour la Corse

1000 idées pour la Corse et pour le monde

Idée n°27 : esse veramente fieru di a castagna

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Ce week-end, c’est la foire de la châtaigne à Bocognano (a fiera di a castagna in Bucugnà). Y’a pas grand-chose à dire dessus, c’est la plus grosse foire de Corse, tout le monde connaît, tout Ajaccio y pique-nique, y’a pas la place pour se garer, alors je lui fais pas plus de pub.

En revanche, la châtaigne, enfin, tous les produits du châtaignier, méritent quelques mots. Le châtaignier fait partie de ces richesses fabuleuses que la Corse possède, et que seuls quelques acharnés ont défendues pendant longtemps, avec comme toujours un appui assez inégal des diverses institutions. Ce genre de richesses que tout le monde s’arrache aujourd’hui (ceux qui se sont trouvés à court de farine de châtaigne à partir du mois de juin savent de quoi je parle). Mais nous préférons construire des ronds-points que préserver notre châtaigneraie, disons que c’est un choix de société…

Bon, revenons à nos châtaigniers, je m’énerverai un autre jour. Tempi Fà nous donne un aperçu des qualités de l’arbre :  « Le châtaignier est un « arbre miracle ». Tout est utilisable : ses fruits, son bois, ses feuilles (sèches pour cuire les galettes dans les fours), son écorce et le tanin de son bois. Sa longévité est exceptionnelle (de cinq cents à mille ans !) mais il a un défaut : il faut attendre au moins trente à quarante ans pour qu’il atteigne le plein rendement de ses fruits. »

Si le châtaignier a été (et est encore) présent en si grande quantité en Corse, c’est grâce aux Génois, si, si. Oh, c’était pas vraiment en pensant au bonheur des Corses : Gênes avait besoin de blé, et il fallait donner autre chose à manger aux Corses, quelque chose qui puisse occuper les terres les plus difficiles et laisser la place au blé. La République imposa la culture généralisée du châtaignier et d’autres arbres fruitiers à partir du milieu du XVIème siècle. Ce fut l’origine de la mise en place de l’un des plus beaux systèmes agroforestiers d’Europe. Les Gênois s’en mordirent les doigts deux siècles plus tard, quand les Corses purent se révolter grâce à l’autonomie alimentaire que leur procurait ce système agroforestier.

D’autant plus que le châtaignier porte une forte charge symbolique, au point que le groupe phare du Riacquistu ait consacré à l’un d’eux une de ses plus belles chansons*, deux siècles après le début de la fin de la civilisation du châtaignier.

Plus tard, tous les états coloniaux comprirent qu’il valait mieux détruire le potentiel productif (et symbolique) de leurs colonies pour les garder sous leur coupe, même si cette méthode était finalement bien moins rentable. L’Inde qui, à l’arrivée des Anglais possédait une agriculture merveilleusement productive et une industrie du textile bien plus avancée que les industries européennes, et qui à leur départ était l’un des pays les plus pauvres de la planète, en est un exemple parfait**.

Louis XVI avait bien compris cela, et ordonna la destruction de la châtaigneraie corse, avant de renoncer quelques années plus tard face à l’opposition locale. Un de ses arguments pour ordonner une telle destruction étant que le châtaignier produisait des paresseux, tant il était facile d’obtenir une production conséquente avec peu de travail***. Le blé, qui nécessite un
travail répété du sol, lui semblait une culture moralement bien plus défendable. On pourrait réfléchir un moment sur cette symbolique.

En Corse, la châtaigneraie a été peu a peu abandonnée, ne résistant pas aux assauts conjugués de la concurrence des produits alimentaires continentaux, de l’exode des Corses (souvent justement dans les colonies), des maladies fongiques (celles dites de l’encre et du chancre), des incendies, de la destruction des sols résultant de l’abandon de l’entretien des murs de
soutènement…

Moins de 10% de la châtaigneraie encore sur pieds est actuellement mise en valeur. Il faut espérer que les avancées récentes en matière d’AOC (obtenue en 2006) et d’AOP permettront d’améliorer ce chiffre. Mais les politiques publiques sont bien timides, et bien isolés ceux qui se battent pour faire bouger les choses, même si je suis très agréablement surpris par la combativité des acteurs du secteur agricole corse.

Je retrouve là un trait caractéristique de la Corse aujourd’hui (pour être franc, je l’ai vu ailleurs aussi) : la majorité des acteurs locaux se gargarise des restes du patrimoine qu’une minorité s’acharne à sauver, sans pour autant croire une seule seconde au potentiel de ce patrimoine, et donc sans mettre aucun moyen conséquent pour le pérenniser. Il me semble que c’est ce qu’on appelle en bon Français tirer indûment les marrons du feu, et je me dis parfois qu’il y a des châtaignes qui se perdent. Mais j’ai dit aussi que je ne m’énerverais pas aujourd’hui, alors je m’arrête là.

* Chanson elle-même écrite en hommage au livre de Jean-Claude Rogliano, Le Berger des morts, mal’concilio.

*Lire à ce propos Mythes et paradoxes de l’histoire économique de Paul Bairoch.

** La production de blé atteignait à l’époque péniblement 8 quintaux à l’hectare sur les meilleures terres, alors que la châtaigneraie produisait au moins 20 quintaux sur de fortes pentes en terrain acide, et permettait en plus le pagage des animaux une grande partie de l’année, et permettait tous les autres usages afférents au châtaignier.

Le cahier des charges de l’AOP, en PDF.

Le décret d’application de l’AOC. Il y a quelques petites différences avec le texte précédent.

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Written by fabien

8 décembre 2009 à 22:28

Publié dans Produire ici

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8 Réponses

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  1. Pratiquez-vous la conservation par trempage en Corse ?
    C’est une technique simple et pratique que j’ai testée avec succès l’an dernier et qui m’a permis de garder des châtaignes jusqu’en Août. Si vous ne la connaissez pas, elle est décrite en détails ici : http://www.chataignier-limousin.com/index.php?p=62

    Tis

    9 décembre 2009 at 17:24

  2. Je ne connaissais pas, non, mais ça se fait peut-être.

    fabien

    9 décembre 2009 at 20:13

  3. J’ai le souvenir de châtaignes sèches que nous donnait une tante, lorsque nous venions au village en été.
    C’était un régal de sucer à la manière d’un bonbon, ces châtaignes qui peu à peu se réhydrataient avec la salive et dégageaient petit à petit toute leur saveur.
    Je n’ai malheureusement jamais eu la curiosité de lui demander comment elle faisait pour conserver ainsi les châtaignes toute l’année.
    Il y a peut-être au village des anciens qui connaissent encore la technique.

    Petite recette du cake à la farine de châtaigne que je suis entrain de faire cuire(ça sent super bon dans ma maison):
    200gr de farine de chataigne
    1 verre de lait d’amande
    3 oeufs(séparer le blanc et le battre légèrement, juste mousseux)
    1 sachet de levure
    1 petit verre d’huile de noix(ou 50gr de beurre salé)
    50gr de chocolat en tablette concassé
    1 pomme coupé en lamelle
    quelques noisettes ou amandes coupées
    1 cuillère de rhum ou d’aqua vita.
    Mettre dans un moule à cake
    Laisser reposer 1 heure.
    Cuire 3/4 d’heure four 190degrés.

    A déguster sans modération.
    Quand tu veux je t’en fait un!!!

    Moreau-Abraini

    11 décembre 2009 at 10:55

    • Et ben toi, quand tu te décides à t’exprimer, tu fais pas semblant.
      Je réserve un cake disons pour le 1er janvier.
      Je me souviens très bien de ces châtaignes séchées. Bien meilleures à tous points de vue que les saloperies d’Haribo.

      fabien

      12 décembre 2009 at 08:23

  4. Petite correction : vous indiquez que le châtaignier met 30 à 40 ans pour produire hors de récents cultivars comme « Bouche de Bétizac » mettent à fruits après à peine 4 ans et sont en pleine production après seulement une dizaine d’année.

    + d’infos ici : http://www.pommiers.com/chataignier/bouche-de-betizac.htm

    André

    28 décembre 2009 at 15:05

  5. Je donne une citation de Tempi Fà, qui concerne les châtaigniers traditionnels. On a beaucoup amélioré effectivement la rapidité de mise en production.
    Je ne sais pas en revanche ce qu’on peut utiliser en Corse, en fonction du terroir et aussi en fonction de ce qu’impose l’AOC.

    Il faut aussi évaluer s’il est plus judicieux de planter de nouveaux arbres, ou bien d’utiliser la châtaigneraie ancienne. Je ne m’y connais pas assez en châtaigniers pour y répondre, et je suppose que ça doit de toutes façons s’évaluer au cas par cas.

    fabien

    31 décembre 2009 at 11:34

  6. Lorsqu’on remet en production de vieilles châtaigneraies, il faut bien sur faire un état des lieux. En ce qui me concerne, j’ai récupéré récemment un bois composé de vieux taillis de châtaigniers surexploités principalement pour du bois de chauffage. Dans mon cas, les cépées étant à bout de force et atteintes par le chancre, j’ai jugé qu’il était plus sain de repartir sur des bases saines en plantant des variétés récentes telles que Bétizac et Marigoule connues pour leur bonne productivité et leur résistance correcte aux maladies telles que l’encre et le chancre.

    André

    31 décembre 2009 at 11:41

  7. […] la portée de tous les jardiniers. Les oléagineux peuvent être plantés dans tous les vergers. Et la châtaigneraie reste […]


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