1000 idées pour la Corse

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Idée n°37 : réfléchir avant d’en prendre pour 20 ans

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Parmi les dons que la divine providence a su si généreusement offrir à l’espèce humaine, je crois que celui se se foutre soi-même dans la merde est l’un des plus fascinants. Après avoir consciencieusement exterminé son garde-manger au paléolithique, provoqué la chute de moultes civilisations par destruction des écosystèmes, inventé la bombe nucléaire et la pollution chimique généralisée, voilà qu’homo sapiens pousse à son paroxysme sa capacité d’automutilation en inventant le crédit à long terme sans apport personnel.

Ouais, samedi, c’est économie.

Ca commence par une histoire triste dans Corse-Matin. Une jeune femme, qui élève seule son enfant, et qui se retrouve en situation délicate à cause de voisins pas sympas, d’un notaire (ou d’un vendeur, on sait pas trop) pas très honnête, mais aussi de sa propre précipitation et d’une certaine imprudence. J’espère que le problème de cette jeune femme sera résolu, mais son cas est malheureusement de plus en plus fréquent.

Vouloir posséder son logement, c’est quelque chose que je comprends assez bien. C’est rassurant d’avoir un toit à soi sur la tête. Encore faut-il ne pas sacrifier tout le reste pour y parvenir. Bouffer des patates à l’eau pendant 20 ans pour réussir à rembourser son prêt, faut aimer. Moi, je préfère rester locataire quelques années de plus, et manger bio.

Il y a à peine une dizaine d’années, tout le monde était encore raisonnable. Les banques demandaient un apport personnel aux emprunteurs, on veillait à ce que leurs mensualités ne dépassent pas un certain seuil, et surtout, la durée des crédits était assez courte. 15 ans était la norme. J’ai pas envie de vous emmerder avec des chiffres, mais quand la durée de l’emprunt augmente, le total des intérêts versés à la banque explose. Les prêts à 25 ou 30 ans consentis aujourd’hui augmentent terriblement le coût de l’achat, même s’ils maintiennent les mensualités dans des limites (tout juste) supportables.

Si tout ça n’avait que des conséquences individuelles, bon, on ferait avec. Le problème, c’est que le système s’auto-alimente : les prix montent, donc on emprunte plus longtemps, ce qui permet de faire monter les prix encore un peu. Et comme les prix montent, chacun pense qu’il fait une super-affaire en achetant maintenant, parce que demain, ce sera encore plus cher. Ce qui est vrai pendant un certain temps, mais finit toujours par s’arrêter. Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, disent les boursicoteurs avisés. Les bulles finissent toujours par éclater.

Le plus drôle, c’est que plus les prix montent, plus ce sont les pauvres qui achètent. En 2001, quand les logements étaient bon marché, les ouvrier et employés représentaient 31% des acheteurs. En 2009, les prix ont doublé, les ouvriers et employés sont 53%. En clair : les riches achètent quand c’est pas cher, et revendent aux pauvres quand les prix sont au plus haut. C’est sans doute pour ça qu’ils sont riches.

Robin des bois doit faire la toupie dans sa tombe : les pauvres se volent eux-même pour donner aux riches, et même, ils se lèvent tôt pour travailler plus pour gagner plus pour payer plus. Eh, camarades syndiqués, vous êtes sûrs que ça va ?

Tout ça pour quoi ? Pour posséder une maison, une femme, un pull (clique ici, tu le regretteras pas)… Que ne donnerait pas homo économicus pour empiler dans sa grotte en parpaings des trucs plus ou moins utiles, plus ou moins beaux, plus ou moins toxiques. Tout, il donnerait tout, pour posséder un peu plus. Y compris sa liberté, sa santé mentale et sa santé tout court.

Comme Beethoven, savoir rester sourd à l’appel de la propriété, quel pied ce serait*.

D’autant que les conséquences de cette folie presque générale (curieusement, quelques pays comme l’allemagne sont restés parfaitement hermétiques à la bulle immobilière) retombent lourdement sur la Corse : notre petite région si belle et si attrayante attire tous ceux qui ont réussi à vendre au plus haut leur palace continental et viennent acheter chez nous leur résidence secondaire. Résultat, le mètre carré est aussi cher à Ile-Rousse que dans les plus beaux quartiers de villes comme Lyon ou Marseille. Une aubaine pour les propriétaires du moindre bout de terrain constructible, un peu moins pour ceux qui veulent simplement vivre ici**.

Même être locataire relève aujourd’hui du parcours du combattant sur notre île. Et le manque de logements sociaux n’est pas pour arranger les choses. Le piège est efficace : pour éviter la précarité réelle ou supposée du locataire (qui est tout de même très bien protégé par la législation dès lors qu’il possède un bail en bonne et due forme), on n’hésite pas à s’endetter aux limites de sa capacité. Pour 20, 25 ou même 30 ans les yeux fermés. Au risque de mal finir.

Parce que les accidents de la vie, ça existe. Un divorce, un accident, le chômage, une mutation professionnelle… Parce que les propriétaires sont redevables de bien des frais dont est exonéré le locataire (intérêts sur l’emprunt, frais liés à l’achat, taxe foncière, coût des gros travaux, etc.) Quand on n’a aucune marge de manœuvre, quand les prix ont baissé un tout petit peu et qu’on est obligé de revendre à perte, et ben, ça fait mal. Si vous voulez vous en convaincre, allez papillonner un peu sur les forums d’immobilier, vous verrez que ce genre de cas se multiplie ces derniers mois.

Propriétaire, selon les circonstances***, ce n’est pas forcément mieux que locataire. Et propriétaire est un statut très lourd quand on y a tout sacrifié. Alors réfléchissez avant d’en prendre pour vingt ans.

* Le frère de Ludwig van Beethoven avait un jour laissé à son frère sa carte de visite sur laquelle était inscrite : « Johann  Beethoven, propriétaire foncier ». Ludwig lui avait retourné sa carte en écrivant au dos « Ludwig van Beethoven, propriétaire d’un cerveau ».

** il paraît que 80% des constructions nouvelles à Ile-Rousse sont des résidences secondaires, mais je n’ai pas eu le temps de vérifier l’info.

*** Généralement, on arbitre entre location et achat en fonction de critères comme le ratio coût de l’achat / loyer (en 1958, un logement valait en moyenne 70 mois de loyer ; en 1998, 133 mois. En 2008, 262 mois. Acheter est de moins en moins avantageux, les classes sociales les mieux informées et les lecteurs de 1000 idées pour la Corse le savent).

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Written by fabien

30 janvier 2010 à 10:42

Publié dans Culture générale

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7 Réponses

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  1. Je relativiserai un peu l’idée… parce que ne deviennent propriétaires ceux qui ont « un minimum » les moyens… Les banques abusent c’est vrai, mais bon pour avoir un prêt dans une banque c’est quand même pas du tout cuit…

    Si je prend mon cas personnel, je me voyais mal mettre de l’argent dans une location alors qu’avec un peu plus par mois je pouvais devenir propriétaire d’un terrain et faire construire ma maison…
    Alors oui c’est un « investissement » sur 25 ans pour moi (très faible apport personnel), mais le prêt n’est pas à taux variable et il y a fort à penser que d’ici 5 ans, le « poids » du prêt dans mes dépenses sera bien plus léger que maintenant.
    On joue pas trop à la roulette russe en étant tous les 2 fonctionnaires aussi… (même si bon la sécurité de l’emploi risque d’être menacée).

    Il faut dire aussi qu’on a conclu le prêt pîle avant la hausse du taux d’emprunt… Et la naissance de notre fille précocement a faillit faire capoter le prêt, on passait de 33 % d’endettement maximal à moins de 30 % si je me rappelle bien. C’est passé juste. Mais en 2 ans de remboursements, la part du remboursement a déjà baissé dans notre budget…
    Alors oui il y a les taxes, mais bon c’est pas non plus la cata. On habite pas à Porticcio… 😉

    Il existe des assurances (qui sont souvent obligatoires) pour les accidents de la vie (chômages, maladie,…) qui augmente le taux du prêt… mais c’est un prix à payer pour être tranquille.
    Surtout lorsque l’on a un enfant qui devra faire des études dans une vingtaine d’année et que ce sera le temps de lui payer son logement…

    Je suis toutefois d’accord pour bien réfléchir aux « sacrifices », même si ceux ci ne sont souvent que matériels… Je ne changerai pas ma façon de manger ou les cadeaux faits à ma fille pour payer ma maison 😉 Par contre j’ai limité mes dépenses loisirs momentanément (quelle idée de monter à cheval aussi…) et je fais une croix sur les Subaru Impreza. On a rien sans s’en donner les moyens…

    « Moi, je préfère rester locataire quelques années de plus, et manger bio. »
    Ça veut dire que vous allez devenir propriétaire un jour ? 😉
    Vous mettez peut être de l’argent de coté pour cela ? Si c’est le cas c’est une très bonne astuce !

    babs2a

    30 janvier 2010 at 14:55

  2. Deux fonctionnaires, ça aide un peu…

    Le plus souvent, la catastrophe, c’est le divorce après quelques années. Les gens ne se rendent pas compte que les premières années, on rembourse surtout les intérêts, pas le capital. Pour peu que le marché ait un peu baissé (ce qui est arrivé l’an dernier, par exemple), ou même juste stagné, on se retrouve à revendre en urgence, à perte (à cause des frais). Déjà que divorcer, ça doit pas être drôle, tout perdre au passage… bof.

    La mutation est pas mal non plus. On se retrouve parfois obligé de revendre si on est muté dans une autre région. Ca arrive. Tout comme de se retrouver au chômage et de ne pas retrouver de boulot près de chez soi. Dans ces cas-là, on est bien content d’être locataire, ça aide à être mobile.

    En tout cas, ce sont des paramètres à prendre en compte. Et je trouve particulièrement injuste le transfert de richesse qui s’est fait ces dernières années des plus pauvres vers les plus riches. Mais c’est parce que j’ai gardé des réflexes de mon éducation communiste :-).

    Et puis sérieusement, y’en a qui se mettent dans des situations pas possibles : http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Laches-par-la-tele-ils-doivent-finir-leur-maison-tout-seuls-_3639-1236762_actu.Htm

    En ce qui me concerne, j’ai bien d’autres soucis que d’être propriétaire pour l’instant. La question ne se pose pas pour moi tout de suite. Et j’ai la chance de ne pas être très possessif. A part avec mes bouquins.

    fabien

    30 janvier 2010 at 17:04

  3. Pour continuer sur les méfaits d’un immobilier trop cher, j’ai vérifié auprès d’éminents copains économistes mon hypothèse selon laquelle un prix élevé de l’immobilier est un frein à l’innovation et à l’entreprise.

    Quand on dépense une fortune pour se loger, et notamment quand on se retrouve avec un gros emprunt à rembourser, il devient beaucoup plus difficile d’entreprendre :
    D’abord parce qu’on n’a plus d’argent à investir, ou moins.
    Ensuite parce que monter une petite entreprise, c’est toujours risqué, et que, quand on a un crédit sur le dos, on peut moins se permettre de prendre de tels risques. On est donc plus enclin à conserver le boulot qu’on a, ou en tout cas à rester salarié.

    Or, depuis que les prix sont élevé, ce sont non seulement les plus pauvres qui achètent, mais aussi les plus jeunes. On va donc se retrouver dans les années qui viennent avec une grosse proportion de trentenaires et de quadragénaires très endettés. Et qui n’entreprendront pas. Ce devrait logiquement être favorable aux grosses entreprises installées, et défavorable aux petites entreprises innovantes. Et probablement pas bon pour la Corse, qui a plutôt des petites entreprises et besoin d’une certaine audace.

    fabien

    31 janvier 2010 at 19:57

  4. Et voilà, ça devait arriver, un vrai drame de l’imprudence immobilière :
    http://fr.news.yahoo.com/49/20100131/ten-nicolas-cage-vend-sa-maison-perte-ff967a9.html

    « Nicolas Cage avait fait l’acquisition d’une immense demeure à Las Vegas pour un montant de 8,5 millions de dollars (6 millions d’euros) en 2006 mais n’a finalement réussi à la revendre que pour 4,95 millions de dollars (3,5 millions d’euros).
    […]
    Nicolas Cage doit environ 14 millions de dollars (10 millions d’euros) au centre des impôts. Ses problèmes d’argent proviennent de ses investissements malheureux dans l’immobilier. »

    😆

    fabien

    2 février 2010 at 08:32

  5. Chouette article.
    J’ai bien envie d’y appliquer ton idée nº19, si j’en trouve le temps.

    Koldo

    5 février 2010 at 13:36

  6. Salut camarade.
    Je serais bien intéressé de voir ce que ça donne en basque…

    fabien

    5 février 2010 at 13:56

  7. Finalement j’ai pris l’idée n°47 pour y appliquer l’idée n°19.
    Je serais bien intéressé de voir comment le voit l’auteur.

    Koldo

    3 mai 2010 at 21:15


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