Idée n°52 : soigner notre valeur ajoutée
C’est amusant, quand je parle d’écologie, j’ai droit à l’appellation d’écologiste : je ne suis plus un être humain, plus un citoyen, non, je deviens un « écologiste ». Alors que quand je parle d’économie, par exemple, je ne deviens pas économiste. Je reste pour certains un gugusse qui parle de choses qui le dépassent (alors qu’entre nous, l’écologie, c’est bien plus compliqué que l’économie), mais en aucun cas je ne deviens économiste. Mystères de l’étiquetage.
Comme aujourd’hui je n’ai pas envie d’être étiqueté, je parlerai d’économie, et plus précisément de valeur ajoutée, à partir d’un exemple agricole.
Supposons donc que je veuille produire des tomates (ça tombe bien, je veux justement en produire), destinées à la consommation de mes contemporains. En gros, parvenir à mes fins impliquera la suite de processus suivants : le matériel génétique adéquat (les semences), sera élevé en pépinière, puis cultivé (parfois encore dans de la terre), fertilisé, protégé, récolté, transporté, distribué, éventuellement transformé, puis vendu, cuisiné ou préparé et consommé (l’ADN, ça a une vie de dingue).
Chacune de ces étapes représente en termes d’économie une valeur ajoutée, dûment facturée. La production de semence ajoute une valeur, l’élevage en pépinière une valeur supplémentaire, etc.
Chacune de ces étapes peut être confiée à un acteur spécialisé (le semencier, le pépiniériste, l’agriculteur, le producteur d’engrais, de pesticides, les saisonniers, les transporteurs, les distributeurs, les vendeurs, les transformateurs, les restaurateurs…). La valeur ajoutée est alors répartie de manière plus ou moins équitable (en général pas très équitable) entre tous ces acteurs.
Ou bien, à l’autre extrême, toutes ces étapes peuvent être assurées par un seul acteur : le paysan qui produit ses semences, les élève, cultive les plants, assure la fertilité de son sol, la santé de ses plantes, récolte, transporte, transforme, vend ou consomme lui-même ses tomates. L’ensemble de la valeur ajoutée lui est alors due.
En termes de territoire (et en Corse nous devrions toujours raisonner en termes de territoire), l’ensemble des processus peut se passer sur un territoire donné, ou bien être éclaté aux quatre coins de la planète. La répartition de la valeur ajoutée sera alors être très différente selon les cas.
Le total de la valeur ajoutée peut aussi être très variable. En termes purement économiques, la valeur totale sera le prix que sera prêt à payer l’acheteur final (même si en réalité la valeur et le prix sont deux notions différentes). Un kilo de tomates vaudra généralement entre 1 et 6 euros le kilo, en fonction de la qualité obtenue, de la période de l’année, du type d’acheteurs…
En matière économique, la question de la valeur ajoutée est fondamentale : chaque acteur économique, mais aussi chaque territoire, a intérêt à produire la plus grande valeur ajoutée possible. Chaque fois qu’une partie d’un processus de production lui échappe, ou si la valeur totale diminue, il s’appauvrit.
Qu’en est-il pour la Corse aujourd’hui ? Dans l’ensemble, nous avons laissé à d’autres l’essentiel de la valeur ajoutée :
On ne produit plus guère de tomates. Elles sont massivement importées. Il reste alors la fonction de vente (la valeur ajoutée des épiciers, primeurs et supermarchés qui les vendent), celle de transformation, le cas échéant, et celle des restaurants qui les proposent à leur carte. Ce n’est pas nul, mais une grosse part de la valeur ajoutée nous échappe. Le transport nous reste en partie.
Si les tomates sont produites sur l’île, par des professionnels ou des amateurs, c’est un peu mieux. Mais la plupart du temps, les semences, voire les plants ne sont pas produits ici, les fertilisants non plus. La production se fait parfois dans des serres chauffées par exemple au gaz, nécessite des pesticides, que nous ne produisons pas. Il faut aussi considérer le matériel utilisé : la Corse n’étant pas dotée d’une industrie, la valeur ajoutée liées aux tracteurs, aux autres matériels agricoles, aux véhicules, au matériel d’irrigation, etc., nous échappe aussi.
La situation idéale en termes de valeur ajoutée serait celle où les semences seraient produites en Corse, les plants élevés en Corse, les éléments fertilisants obtenus sur place, par des méthodes utilisant (si nécessaire) des énergies locales. Il est peu probable que nous produisions un jour des camions ou du matériel industriel, donc dans une optique de conservation de la valeur ajoutée, nous devrions en limiter l’usage autant que possible (par une gestion rationnelle des ressources, par une limitation du transport, par des techniques plus douces (utilisation de l’eau gravitaire, techniques culturales simplifiées, etc.). Et bien entendu, la qualité de la récolte, donc la valeur totale, serait aussi élevée que le permet la demande. La réduction du nombre des intermédiaires permettant par ailleurs de réduire le prix final payé par le consommateur.
En gros, dans notre exemple, de petites exploitations vendant en direct ou quasiment et utilisant des méthodes avancées de production biologique, de petites unités de transformation artisanales, une gestion pointue des ressources naturelles et des déchets… seraient le meilleur moyen d’accroître la part de valeur ajoutée de notre économie. Il y aurait quelques autres raisons d’appliquer semblables méthodes, mais celle-ci est déjà suffisante à emporter la décision…
Le problème, avec l’économie, c’est qu’elle peut conduire à devenir écologiste…
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Une autre histoire de solanacées, ancienne mais toujours d’actualité, L’Ile aux fleurs, de Jorge Furtado.
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Fabien, j’ai lu avec attention l’histoire des tomates, et l’ai vivement appréciée. Ce que tu décris, c’est ce que nous appellons (de nos voeux) l’économie identitaire, qui, produisant les tomates de ton exemple, produit tout à la fois de la richesse, de la justice sociale, et du sens. Sans compter, en supplément , le goût et la santé . Evviva! A quand la première tomate ?
toni casalonga
6 mai 2010 at 15:58
Pour une tomate 100% produite en Corse, on peut peut-être réussir ça l’an prochain. Les semences, c’est pas trop dur, l’élevage des plants, si on a une petite serre l’an prochain, ne pose pas de problème. Nos méthodes de culture ne nécessitent pas d’engrais ou d’amendements importés, sauf un éventuel rééquilibrage du sol la première année. La consommation se fera sur place, les surplus seront vendus en direct… Reste à savoir si on peut vraiment sortir des revenus corrects avec ça, je pense que c’est possible une fois le système bien rodé, la qualité de la production et la vente en direct permettant de vendre relativement cher (et il y a encore d’autres valeurs ajoutables : éducation, formation, tourisme vert, insertion…). Yield is limited only by imagination, disent les permaculteurs.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y en aura pas tout de suite pour tout le monde…
fabien
7 mai 2010 at 20:08
Qu’apprend? tu vas t’installer très bientôt pour cultiver des solanacées?
Jeuf
21 mai 2010 at 13:09
je voulais dire : « qu’apprends-je »?
Jeuf
21 mai 2010 at 13:10