Idée n°109 : sauver nos deux langues
Et merde ! Moi, je voulais me reposer, et puis j’ai pas l’habitude d’écrire deux billets comme ça, à la suite. Et voilà que deux gugusses nous pondent dans Le Point un article qui illustre à la perfection l’idée n°109 que j’avais en tête de vous livrer d’ici quelques jours. Voici donc cette idée n°109, mâtinée d’un peu d’actualité.
—
Je suis sidéré de l’acharnement que mettent les autorités du beau pays de France à écraser encore et toujours les langues et cultures régionales. J’arrive assez bien à comprendre la logique qui a présidé jadis à l’imposition du Français comme langue unique de la république, mais la situation actuelle ne justifie évidemment aucunement que perdure un tel acharnement.
Le Français n’est plus menacé d’aucune manière par quelque langue régionale que ce soit. Quand bien même décréterait-on la coofficialité de toutes les langues régionales et leur enseignement obligatoire, le Français n’est pas près de régresser dans ces territoires, et la nation française n’en sera pas menacée plus que ça. Le Français restera la langue dominante en France et dans chacune de ses régions, comme l’Anglais est resté la langue parlée par l’écrasante majorité de la population et dans l’écrasante majorité des situations en République d’Irlande, pourtant indépendante depuis près d’un siècle.
Et je me dis que la clé du problème, l’explication de cette crispation, vient justement de là : le Français, à son tour, dans la logique de mondialisation, devient une langue menacée. Mais pas par le bas, pas par ses régions. Par le haut, par la domination de plus en plus écrasante de l’Anglais dans toutes les situations de pouvoir (le Français est en train de disparaître de l’Union Européenne, de la diplomatie, du monde de la recherche, etc., irrémédiablement supplanté par l’Anglais). L’Anglais des affaires et du droit, bien entendu, pas l’admirable langue de Shakespeare et de ce cher Tolkien, qui est sans doute elle aussi une langue menacée.
Menacée par le haut, et menacée par la dégradation de l’intérieur que constitue la perte accélérée d’exigence linguistique constatée dans l’enseignement, dans les discussions électroniques, dans la littérature… et dans le journalisme, bien entendu. Le Français est lui aussi une langue menacée à moyen terme.
Pour moi, la crispation vient de là. Incapable de résister à ce mouvement (et pire, y participant activement en cédant aux sirènes de l’ultralibéralisme qui ronge toute culture locale), la France se défend comme elle peut, c’est-à-dire en tapant sur les plus faibles. Perdant du terrain sur tous les fronts, elle cherche à gagner des miettes sur le front régional. Stratégie absurde, tant il n’y a plus rien à gagner de ce côté-là. Réaction idiote d’une nation en perdition.
Pour moi, le refus de la France de signer la charte européenne des langues minoritaires est le réflexe absurde d’un reliquat jacobin qui sent bien que l’Union Européenne est en train de détruire tout ce que la France portait de valeurs et de culture. Réaction ubuesque, puisque par ailleurs la France participe activement à la construction européenne, et devrait logiquement en accepter toutes les conséquences.
Dans tous les cas, cette schizophrénie nous fait du mal à tous, Corses comme Français. Et moi, mezu Corsu, mezu Pinsutu, j’ai mal en tant que Corse de ce que la France nous fait, en tant que Français de ce que nous faisons à la Corse, et en tant que Corse et Français de voir mes deux cultures se faire plus ou moins complaisamment massacrer.
Nous sommes dépositaires de deux langues, le Corse et le Français, et nous avons le devoir de les défendre toutes les deux. Et tout ce que j’observe autour de moi me fait penser que ces deux langues seront sauvées ensemble ou disparaîtront ensemble. Mes amis excellents corsophones sont aussi toujours d’excellents francophones. L’amour de la langue ou de la culture est rarement exclusif. Comme son mépris. On le voit dans cet article minable du point : le mépris que les auteurs portent aux Corses et à leur histoire, ils le portent également à leur propre langue, à leur propre culture.
Dès les premières lignes, une suite de lieux communs doublée une abomination syntaxique : « si tu touches à ma sœur, t’est mort » (sic !). Viendra ensuite « la Golo » (re-sic !). Et une invraisemblable tentative d’humour sous-desprogien, d’autant plus pathétique que Desproges vomissait les lieux communs et ceux qui les profèrent. Il en faisait même un peu de l’essence de son unique roman, Des femmes qui tombent.
D’erreurs historiques en formules maladroites, d’écorchements de syntaxe en mépris du vivant et du mort, les deux auteurs (oui, oui, ils se sont réellement mis à deux pour accoucher de cette pénible production) démontrent admirablement que pour haïr l’autre, il faut d’abord se mépriser soi-même. Car l’histoire de Corse, depuis 1768, est aussi l’histoire de France. La géographie de la Corse est une part de la géographie de la France, et les deux auteurs démontrent surtout, par tant de médiocrité, le mépris de leur propre culture.
Le Français, langue admirable à la littérature incroyablement riche, mérite sans doute mieux que ce genre de vomissures journalistiques. Ne laissons pas faire : pour la Corse, aidons les Français à s’aimer eux-mêmes.
—
Retrouvez tous les articles de 1000 idées pour la Corse.
Sauf mention contraire, le contenu de cette page est sous contrat Creative Commons
J’ai toujours aimé tes idées, ta façon de voir les choses et ton coté philosophe parfois venant d’une autre planète, mon email commence par la première lettre de mon prénom suivi de mon nom de famille (tout attaché) suivi d’un @ et se termine par hotmail.fr, si tu résous cette énigme, promis je passe te voir, moses kiptanui, ton frère jumeau et ami de toujours.
tahour
8 mai 2013 at 12:05
Entre nous… : on ne met pas de majuscule au nom d’une langue. Ainsi « le Corse parle corse et aussi le français ». Mais vous n’êtes pas journaliste.
Par contre, celui qui a rédigé cet article sur Le Point n’a pas d’excuses, d’autant plus qu’il y a dans ce média, un service de relecture (« rewriting en jargon journalistique). Et on peut trouver d’autres fautes comme :
– « …sur le Ponte Novu commandant l’accès à sa capitale de Corte… » : Ponte Novu (Ponte-Novo en français) est le nom de la commune, il faudrait donc lire « … sur le pont de Ponte Novu… ». Et pourquoi « …à sa capitale de Corte. » ?
– « L’immense héros corse » : bon, passons sur le dithyrambique « immense ». Mais ici encore, je relève un soucis avec la majuscule : le mot Corse ici est un gentilé. Comme quand il ne met pas de majuscule à « mercenaires prussiens » (Prussiens) et qu’il n’en mat pas non plus – mais là, il a raion – à « troupe prussienne » ou « régiment corse ».
– « … mais l’arme au poing à visage découvert. » : on dit « l’arme à la main » et « une arme de poing » (un pistolet, un révolver sont des armes de poing).
Ah, si nos médias ne respectent pas leur langue ! Bon, on n’est pas bien aidé avec les paroles de la Marseillaise, ça commence mal…
Non, vous n’êtes pas journaliste mais bon nombre d’entre-eux devrait (ou devraient) prendre exemple sur vos proses !
Patrice
8 mai 2013 at 18:21
Alors, pour le coup, je désapprouve le Français qui ne met pas de majuscule aux noms de langues 😉
Merci d’avoir relevé ces autres horreurs du texte, j’avoue que j’ai eu du mal à le relire entièrement.
fabien
8 mai 2013 at 18:27
Un medium / des media mon cher !
ucazzumarinu
11 mai 2013 at 18:36