1000 idées pour la Corse

1000 idées pour la Corse et pour le monde

Idée n°118 : se montrer à cheval sur l’étiquette

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Repas chez mon père : « J’ai acheté un figatellu, il est pas mal, mais il a un arrière-goût bizarre ». Je goûte. Effectivement, ça ressemble à un figatellu, pas vraiment mauvais, mais bizarre. « Je l’ai acheté au supermarché. Comme il vient du Niolu, j’ai pensé qu’il était bon ». Je regarde l’étiquette. Effectivement, y’a « Niolu » écrit dessus. Y’a même écrit « distribué par Monsieur A., 20224 Calacuccia ».

Mais « distribué », c’est pas « fabriqué ». Tout comme « fabriqué », c’est pas « élevé ». Mais bon, faut être né dans une génération paranoïaque pour aller regarder tout ça, tout le temps. Mon père a grandi dans un temps où quand on achetait un figatellu du Niolu, on avait un figatellu du Niolu. Alors les étiquettes, il les survole. Un temps où le figatellu se fabriquait avec du porc nustrale et quelques aromates. Pas avec :

Figatel

Bon, évidemment, le premier réflexe, c’est d’en vouloir à Monsieur A, de Calacuccia. Essayer de nous faire prendre des boyaux pour des lanternes, c’est pas très sympa. Et effectivement, c’est pas très sympa. Mais bon, on imagine que Monsieur A. fait ce qu’il peut pour nourrir sa famille, et puis, lui au moins, a le courage d’essayer de gagner sa vie dans le Niolu. Le problème, ce n’est pas tellement lui.

Le problème, c’est un système qui devrait normalement favoriser les engagements les plus vertueux et assurer la transparence, et qui ne le fait pas. Un système qui emmerde à n’en plus pouvoir les agriculteurs, les producteurs, avec des normes incroyablement contraignantes et in fine probablement dangereuses pour la santé, et qui laisse à la distribution (petite et grande) toute latitude pour vendre des produits de la plus basse qualité possible sans indication claire pour le consommateur.

Le problème, c’est une réglementation sur l’étiquetage totalement incompréhensible pour qui ne l’a pas étudiée à fond. Au niveau européen, mais aussi à notre niveau, ici en Corse. Voici ce que cette étiquette ne nous dit pas, et ce qu’elle devrait mentionner pour informer vraiment :

1. Les ingrédients doivent légalement être classés par ordre décroissants d’importance. Le foie, qui représente 30 % de ce figatellu, est en seconde position après la gorge de porc. Ce qui veut dire que celle-ci représente plus de 30 % du total. Mais combien ? 31 % ? 50 % ? presque 70% ? Vous ne le saurez pas. Et vous ne pourrez donc pas en déduire ce que représentent tous les additifs bizarres. 1 % ? 10 % ? Plus ? Vous ne le saurez pas. La seule chose certaine, c’est qu’il y a plus de sel et de sucres que d’ail et de poivre, on n’est pas dans le naturel.

2. De même, la qualité des ingrédients n’est pas précisée. Quel mode d’élevage pour le porc ? J’ai parlé ici même il y a quelques temps de l’importance pour la santé du mode d’élevage. Vous ne saurez rien à ce sujet. Bon, vous l’avez compris, si rien n’est indiqué, c’est qu’on est dans l’élevage le plus industriel (pareil pour le sel, qui n’est sans doute pas de la fleur de sel de Guérande).

3. Ici, n’est même pas indiqué le lieu de transformation. On peut se douter que le porc vient d’un élevage industriel de Bretagne ou d’un lieu équivalent, mais on ne sait même pas si le figatellu a été élaboré en Corse (avec création d’emplois, toussa).

4. Ici, la date limite de consommation et le numéro de lot ne sont même pas renseignés, alors que le produit est vendu en supermarché, ce qui indique une absence gravissime de contrôle.

Le problème, c’est qu’une telle opacité et une telle absence de contrôle nuit à tout le monde :
Au consommateur, qui ne peut que renoncer à acheter sa charcuterie corse en dehors de circuits alternatifs pas toujours sûrs non plus, et quoi qu’il en soit insuffisants en volume. Aux vendeurs de charcuterie en général, qui perdent un marché important, puisque les consommateurs se méfient de plus en plus (les touristes eux-mêmes finiront par comprendre qu’on les prend pour des cons), et préfèrent, à tout prendre, se tourner vers le désormais chinois Justin Bridoux, bien moins cher. Aux transformateurs situés en Corse, dont le produit se distingue à peine de produits même pas fabriqués ici. Et bien entendu, à tous ceux qui font un véritable effort de qualité, dont le produit se distingue encore une fois à peine des autres (hors bio ou AOC).

Or, il y aurait sans doute de la place en Corse pour une gamme de charcuterie allant de « très bonne » (l’AOC ou le bio, en gros) à « correcte », à condition que le consommateur soit à même de savoir précisément ce qu’il achète. Mais pour ça, il faudrait un étiquetage plus précis, quoique pas très compliqué à mettre en place, avec quelques interdits ou un cahier des charges, et la mention précise des lieux d’élevage et de transformation. Pour notre figatellu, ça pourrait ressembler à ça :

– Saucisse de porc de type « figatellu » (interdiction de mettre « figatellu » tout seul s’il y a tous ces additifs ou si ce n’est pas produit en Corse).
– Fabriqué à Marseille ; porcs élevés en Bretagne, pas de signe de qualité.
– Liste plus précise des ingrédients (au moins les pourcentages des 99 % des ingrédients les plus importants).

Pour un figatellu un peu plus intéressant, ça pourrait donner ça :
– Figatellu (serait produit en Corse, avec peu d’additifs, selon une recette suffisamment proche des recettes traditionnelles).
– Fabriqué à Calacuccia (Corse) ; porc fermier d’Auvergne, Label Rouge.
– Liste précise des ingrédients.

Je ne trouverais pas scandaleux que ce deuxième exemple représente la norme pour la future IGP, le Label Rouge étant un label à la fois assez sérieux pour présenter un véritable gage de qualité et une contrainte pas trop excessive pour autoriser des prix abordables.

Et enfin, pour les meilleurs :
– Figatellu AOC (ou bio, ou Label Rouge…).
– Fabriqué à Calacuccia (Corse), porc élevé à Lozzi (Corse).
– Liste précise des ingrédients.

Le tout étant contrôlé de manière suffisamment sérieuse pour limiter la fraude à un niveau permettant d’avoir un minimum de confiance dans le produit que le consommateur achète, et incitant chacun des acteurs de la filière à se positionner un peu plus haut dans la gamme, puisque toute amélioration du produit serait immédiatement visible sur l’étiquette et donc répercutable sur les prix.

Tout ceci n’interdisant pas l’achat direct à votre producteur préféré, bien au contraire, mais bon, on sait tous que ce genre de production est limité. Et une envie de figatellu, ça se contrôle pas toujours, alors, on aimerait pouvoir en trouver du correct même en supermarché.

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Written by fabien

23 novembre 2013 à 20:56

Publié dans Produire ici

9 Réponses

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  1. Et pour compléter cet article très intéressant, je ne peux que vous conseiller un petit ouvrage très instructif :
    Additifs alimentaires, le guide indispensable pour ne plus vous empoisonner, Corinne Gouget

    Per exemple pour le E252 qu’on lit sur cette étiquette, voici ce que dit ce guide : « nitrate de potassium : conservateur chimique qui pourrait être dérivé de carcasses d’animaux ou de déchets de végétaux. Aussi utilisé dans les poudres des balles pour armes à feu, explosif, fertilisant et pour la conservation des viandes. Risques : hyperactivité, cancer. à ÉVITER. » BON APPÉTIT !

    Jacquot

    25 novembre 2013 at 10:44

  2. autant que je me souvienne, le label rouge n’est pas non plus une garantie que les animaux ont reçu une vraie nourriture – sans OGM – entre autres …

    plu

    26 novembre 2013 at 16:30

    • Le label rouge ne garantit pas tout, évidemment, mais c’est déjà le gage d’une certaine qualité. Et je le prendrais comme la qualité minimale exigée pour avoir le droit de fabriquer une charcuterie estampillée « corse ». Sachant que les conditions d’élevage industriel tout venant sont très sensiblement plus ignobles et qu’à peu près tout le monde consomme du jambon blanc issu de ces horreurs sans se poser de questions…

      fabien

      26 novembre 2013 at 19:37

  3. O cari,
    un complément d’information (encore une couche) au texte déjà très complet de Fabien. Sous la tête de maure figure un code, opaque pour les non initiés, dont les deux premiers chiffres indiquent normalement le département où l’animal a été abattu (abattoir aux normes CE). Ici, la haute Corse. Mais, j’ai bien dit normalement, nous avons en mémoire les carambouilles de l’entreprise Spanghero.

    jms

    2 décembre 2013 at 17:27

    • Merci pour le complément d’infos. Sans aller chercher dans de l’affaire trouble, comme je suppose qu’on n’a pas affaire à du porcu capusgiu bio, on peut supposer qu’on est sur du cochon importé vivant pour être abattu et / ou fini d’engraisser sur place, puis transformé dans l’un ou l’autre des ateliers industriels de l’île, puis distribué par monsieur A.
      Bon, on va suggérer à l’université de mettre en place un doctorat de lecture d’étiquettes.

      fabien

      2 décembre 2013 at 18:47

  4. Ce sujet est très intéressant! Il y a déjà 15 ans de ça, certains charcutiers Corse faisaient venir des carcasses de porc ou du sang de chine pour fabriquer leur charcuterie dite « Corse » Quand on sait à quel point la race et l’alimentation de l’animal à de l’importance pour un produit de qualité… bref, leur charcuterie est depuis longtemps vendue dans les supermarchés et même sur les marchés… pour avoir travaillé pendant 3 semaines dans une de ces charcuteries, je peux vous dire que même les saucissons arrivaient de je ne sais où mais que nous devions coller les étiquettes dessus comme si ils avaient été fabriqués chez nous!
    C’est désolant, mais nos produits subissent le même sort que le jambon, le poulet et autres produits que nous et surtout nos enfants consomment régulièrement!

    valérie

    4 décembre 2013 at 23:08

  5. la question est aussi : veut on beaucoup et pas cher et moins et y mettre 1 euro de plus, c’est certain qu’il y a beaucoup plus de travail à élever un cochon aux céréales et à la chataigne qu’à acheter une  »patée » à mettre en boyau ou pirecoller une étiquette sur un produit venant d’on ne sait ou fabriqué on ne sait comment
    dans le cas de Fabien tout est sur l’étiquette il faut savoir ce que l’on désire, effectivement l’idéal serait de mentionner exactement ce que l’on mange, l’origine et le mode de fabrication,mais je pense que les lobbies agroalimentaires internationaux ne sont pas près de lasser passer ce genre de lois!!!

    annie

    8 décembre 2013 at 23:42

  6. […] l’étiquetage, on lira aussi ce site sur 1000 idées pour la Corse, l’idée 118 : « se montrer à cheval sur l’étiquette », à propos du figatellu […]


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