1000 idées pour la Corse

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Idée n°127 : permacultiver

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La vie est parfois curieuse. Ca fait des années que j’échoue à écrire un article satisfaisant sur la Permaculture. J’ai essayé souvent, et chaque fois, je bute sur la difficulté de trouver une manière simple d’expliquer ce qui en fait vraiment la substance. Et voilà que c’est une discussion plutôt houleuse ce matin avec une étudiante en Design qui me donne la solution (ce qui d’ailleurs me conforte dans l’idée que c’est souvent du conflit que nait la lumière).

A l’origine, d’ailleurs, on est bien d’accord elle et moi : la notion de Design est horriblement mal comprise en France (le terme est beaucoup plus banal dans les pays anglophones). Mais laissons notre étudiante en Design expliquer le problème (elle le fait bien mieux que moi) dans un texte qu’elle a écrit juste après notre discussion :

Design design

Hormis la dernière phrase, je suis profondément en accord avec ce texte. L’acception française habituelle du terme « design » est très mauvaise, et surtout ne rend pas justice à ce qu’est le Design : un processus complexe de conception, nécessitant de faire appel à des compétences issues de plusieurs métiers et disciplines, qui doit s’insérer dans un contexte, et souvent dans un travail d’équipe plus large. Vous serez d’accord, je pense, pour dire que c’est effectivement bien plus intéressant que ce qu’on entend généralement par « un objet design ». Notons que l’on est encore ici dans une définition un peu étroite, plutôt celle de l’industrial design qui y est cité. Le Design n’est pas forcément industriel.

Venons-en à la dernière phrase. Outre que c’est la première fois que j’entends parler de « style développement durable » (d’ailleurs je le mettrais plutôt en anglais, ça sonnerait mieux : « sustainable developpement style », je suis sûr qu’en musique, avec un chanteur coréen et une petite danse originale, ça ferait un carton sur YouTube), il est clair que l’auteure ne connaît pas la Permaculture. La connaîtrait-elle que justement, elle verrait clairement que sa définition du Design colle parfaitement à la conception d’un écosystème en Permaculture. La Permaculture est précisément une méthode de Design d’écosystèmes.

Je dirais même que pour répondre à la question qu’on pose le plus souvent en Permaculture, à savoir : « c’est quoi la différence entre la Permaculture et, au choix, l’agroécologie, le jardin bio, l’agriculture bio ou n’importe quoi touchant à du vivant… », et bien, la différence fondamentale, c’est l’insistance sur le Design. La Permaculture, c’est précisément un processus complexe de conception d’écosystèmes, nécessitant de faire appel à des compétences issues de plusieurs métiers et disciplines, qui doit s’insérer dans un contexte, et est susceptible de s’insérer dans un travail d’équipe plus large.

Je prends deux exemples parce que je vous sens sceptiques.

La conception d’un simple jardin en Permaculture est un processus complexe dans lequel le jardinier va suivre une méthode complète le menant de l’idée à la réalisation (et même plus loin), en passant par l’observation, l’évaluation, et bien entendu le Design proprement dit, qui le conduira à l’élaboration d’un projet précis matérialisant son dessein, accompagné de dessins, soit, étymologiquement, les deux mots qui, ensemble, sont désignés par Design en anglais (voir la deuxième page de ce PDF, par exemple). Cette conception nécessite de faire appel à des compétences issues de la botanique, de l’arboriculture, du maraîchage, de la pédologie, de la climatologie, du paysagisme, de la maçonnerie, de la menuiserie, de l’écologie, de l’hydrologie, de la systémique, de la gestion des risques, du dessin, de la rédaction… Elle devra tenir compte de contraintes locales, sociales, juridiques (avec parfois des compromis difficiles à trouver par exemple entre le besoin de laisser des zones en friches pour favoriser la biodiversité, et, en région méditerranéenne, le besoin de prévention contre l’incendie), et trouver des solutions à ces contraintes. Tout ceci devra être pris en compte au moment de passer à la phase appelée « Design » dans les méthodes de Permaculture, bien que le terme Design puisse aussi bien être appliqué, selon la définition donnée par notre étudiante et d’autres définitions du Design, à l’ensemble de la méthode.

Mais la Permaculture ne s’arrête pas aux jardins, et j’en viens à mon second exemple : celui de l’amélioration d’une ville en utilisant les méthodes de la Permaculture. Cet exemple est tout sauf théorique puisque la Permaculture a donné naissance, dans les années 2000, au mouvement des Villes en Transition (Transition Towns). Le problème était le suivant : face à la double perspective du réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources naturelles, comment rendre une ville capable d’être résiliente à ce double risque ? Plus encore que dans le cas d’un jardin, on s’en doute, le problème est complexe, et devra mobiliser un nombre bien plus important de métiers et de disciplines. Clairement, il faudra, de plus, travailler et composer avec tout un tas de personnes extérieures : des urbanistes, des architectes, des élus, des énergéticiens, etc.. Le tout nécessitera une méthodologie solide… Bref, il va falloir élaborer le Design à la fois de la ville telle qu’on la veut, mais aussi de tout un tas de sous-éléments. On retrouvera des questions de Design de service quand il s’agira de mettre en place une monnaie locale et de la faire accepter, ou dans la mise en oeuvre d’une stratégie zéro déchets, et des questions de Design d’objets un peu partout… Bref, du Design, encore du Design…

Que ce Design en Permaculture ne soit pas toujours élaboré par des professionnels et/ou de manière professionnelle, c’est un fait. On trouve dans les personnes qui se réclament de la Permaculture tout et n’importe quoi, et même parmi les gens sérieux, on trouve bien plus d’amateurs que de professionnels, et leurs Designs sont parfois un peu sommaires. Ca n’empêche pas que le processus de conception en Permaculture (le vrai) mérite bien le nom de Design, puisqu’il répond à tous les critères des bonnes définitions du Design.

J’ajouterais que le fait que tout un chacun puisse, par le biais de la Permaculture, s’initier au Design ne devrait pas chagriner les designers, bien au contraire. Faire en sorte que le grand public pratique une activité de Design (le vrai ), même imparfaite, est la meilleure manière de faire en sorte que celui-ci soit réellement compris pour ce qu’il est, et que les designers soient compris et reconnus. Le risque que les amateurs de Permaculture viennent piquer le boulot des designers professionnels est à peu près nul, et si tout le monde se mettait à concevoir son jardin, son quartier, son association avec un peu de la rigueur du designer, le monde n’en serait que plus beau (au sens large). Les designers, à ma connaissance, vivant encore dans ce monde, ils n’auraient pas à s’en plaindre.

Merci à C. pour m’avoir donné l’inspiration nécessaire à la rédaction de cet article.

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Sauf mention contraire, le contenu de cette page est sous contrat Creative Commons

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Written by fabien

20 juillet 2015 à 21:49

2 Réponses

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  1. Si la permaculture est une pensée globale et systémique des équilibres ;
    Si elle met en œuvre le design comme moyen de gérer des systèmes complexes en liant les parties au tout de façon harmonieuse et optimale ;
    Si l’ensemble est perçu comme un projet, continu et évolutif, dans lequel l’horizontalité des échanges est la norme ;
    Si dans ce système chaque être peut trouver sa place et exprimer pleinement ses potentialités ;
    Si cela permet de trouver la juste échelle de chaque action ;
    Si cela permet de prendre conscience de la singularité, chaque action n’ayant pas les mêmes conséquences selon le milieu où elle est appliquée ;
    Si cela donne à penser équitablement l’utilisation des ressources, dans l’intérêt du fonctionnement harmonieux du système ;
    Alors il faut que la permaculture s’assume comme projet politique.

    Jean-Joseph

    21 juillet 2015 at 08:02

    • Je pense que c’était bien l’idée originale, si on en croit Mollison et Holmgren dans leur toute première synthèse de 1978 :
      « Nous n’avons pas voulu établir un schéma fixe et dogmatique, mais un modèle qui intègre plusieurs principes – l’écologie, la conservation de l’énergie, l’aménagement du paysage, la rénovation urbaine, l’architecture, l’agriculture (sous tous ses aspects) et les théories de la localisation en géographie. Nous avons pris en compte les problèmes posés par le chômage et la retraite anticipée, les névroses urbaines, et les sentiments d’impuissance et d’absence de but ressentis par beaucoup dans le monde contemporain ».
      Il y a ensuite un passage sur la question de l’autosuffisance, bien distinguée de l’autarcie, et prenant en considération les nécessaires degrés de spécialisation, les interactions entre individus, régions…
      Tout ça est assez politique.
      Ensuite, il me semble que les villes et territoires en transition pourraient être considérées comme la branche politique de la Permaculture, avec des expériences assez intéressantes, où le conseil municipal réticent a priori finit par faire plus ou moins sien le projet de transition, et à accepter des niveaux de démocratie participatives sans commune mesure avec la parodie qu’on en voit le plus souvent…

      Ca me semble cependant minoritaire dans le mouvement. Peut-être un besoin de maturation, je ne sais pas.

      fabien

      21 juillet 2015 at 19:29


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