Idée n°129 : me fâcher avec tout le monde (2) : Paul Giacobbi
Paul Giacobbi est un homme extraordinaire, d’une intelligence brillante, d’une culture remarquable, avec lequel j’ai adoré converser quelquefois sur son blog. Un homme d’envergure nationale, qui aurait pu être ministre, mais qui a préféré se consacrer à son île. Un économiste de grande compétence. Le rêve, a priori, de toute région qui, comme la nôtre, gagnerait à être gérée rigoureusement et à trouver sa stratégie de développement. Mais voilà, la Corse aux plus belles choses se plaît à faire outrage, et en 5 ans de règne, outre les multiples doutes concernant sa probité et l’existence d’un « système Giacobbi », qu’il réfute absolument, le bilan est bien maigre, du moins en termes de résultats de gestion (je ne me prononcerai pas ici sur le Padduc, qui a ses qualités, dont celle d’exister, et ses défauts, dont ses 3000 pages qui le rendent inaccessible au commun des citoyens).
Au point de voir monsieur Giacobbi défendre son bilan à coups d’approximations statistiques, se réfugier derrière la conjoncture, ou bien défendre, contre la tendance économique, mais aussi, contre la politique même de ses services, un projet pharaonique.
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Paul Giacobbi et le tourisme
Ainsi, parlant du tourisme à Cuntrastu (j’aurais voulu pouvoir faire une retranscription exacte, mais allez donc retrouver l’émission après ces quelques semaines), il affirmait crânement : « nous avons fait venir plus de monde ».
C’est embêtant, mais ce n’est pas, mais alors pas du tout ce que disent les chiffres de l’Observatoire régional des transports (ORTC). Eux disent deux choses : la première, c’est que le nombre de personnes venues en Corse depuis 2010 est à peu près stable, mais certainement pas en hausse. La seconde, c’est que cette stabilité fait suite à une période de croissance remarquable, qui correspond précisément à la précédente mandature.
Entendons-nous bien. Loin de moi l’idée de me désespérer que le tourisme stagne chez nous. Cette stagnation était exactement ce que j’appelais de mes vœux depuis longtemps, elle est, ou du moins devrait être, une occasion unique de remettre à plat toute la question du tourisme et de son lien avec le reste de notre société. Et la politique de la mandature précédente, qui n’avait pour horizon que l’augmentation toujours plus forte de l’afflux touristique était pour le moins grossière. En ce sens, le projet touristique de la mandature Giacobbi était un peu plus subtil.
Toujours est-il que l’objectif était bien de continuer à faire progresser le tourisme, et que c’est raté, alors même que le tourisme international progresse tout autour de nous, et n’a pas du tout subi le même coup d’arrêt. Et que nous ne sommes pas capables, apparemment, de profiter de ce flux croissant. Et que ce serait quand même la moindre des choses de le reconnaître.
Evolution du tourisme en Méditerranée.
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Paul Giacobbi et le chômage
Les chiffres du chômage en Corse ne sont pas bons. Ce n’est un secret pour personne. Mais la parade de monsieur Giacobbi, comme du président de l’Agence de développement de la Corse, Jean Zuccarelli, est que tout ça n’est pas leur faute. La faute est à la conjoncture, preuve en est qu’en France aussi, le chômage augmente.
Et c’est vrai, bien vrai, en France, le chômage a augmenté durant cette période 2010-2015. Début 2010, on comptait à peu près 2 650 000 chômeurs de catégorie A en France. A ce jour, ils sont environ 3 550 000. Soit une hausse déjà dramatique de 34 % environ. Reste que la Corse fait bien pire, passant de 11 600 chômeurs de catégorie A en mars 2011 (sources : Dares, Direccte), à 18 000 environ ces derniers mois. Soit une hausse de l’ordre de 55 % : la Corse est clairement une mauvaise élève en matière de chômage.
Et c’est nouveau. Jusqu’en 2010, il se trouve que nous faisions plutôt mieux, ou, selon les périodes, jeu égal avec la tendance nationale. Mais c’est bien depuis 2010 que nous décrochons, avec une tendance à être de plus en plus loin de cette tendance nationale. Alors oui, la conjoncture, la crise, mais comme pour le tourisme, nous sommes bien plus mauvais, depuis 2010, que notre environnement. Et ça n’a fait que s’aggraver durant la mandature Giacobbi :
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Paul Giacobbi et la Carbonite
Voilà un dossier qui ne rentre pas dans la catégorie bilan, mais dans celle des choix stratégiques discutables. Bastia, nous dit-on, a absolument besoin d’un nouveau port, un port d’envergure européenne, pour booster l’économie corse. Mais aussi parce que le port actuel sature. Soit. Mais quelle est la tendance pour le port de Bastia ? Une augmentation du trafic qui le menacerait effectivement d’asphyxie ? Pas du tout. Depuis 2010, voire 2009, le port a vu sa fréquentation diminuer sensiblement. Globalement, et surtout durant la saison touristique.
Ainsi, en août 2009, le port de Bastia recevait 713 000 passagers. En août 2015, le chiffre était passé à 557 000. Soit une baisse considérable de 22 %. Pour la saison estivale complète, c’est à peine mieux : de 2 millions de passagers en 2009 et 2010, le port passe à un peu plus de 1 600 000 en 2014 (et 2015 tangente cette barre, semble-t-il) : près de 20% de baisse.
Mais cette baisse est-elle une surprise, un passage à vide inopiné ? Pas du tout. La diminution de la part du maritime dans le transport est le fait d’une politique délibérée. La CTC a décidé qu’en matière de tourisme, il était préférable de favoriser l’avion. Avec une politique agressive, et coûteuse, de développement du transport aérien. Au détriment évidemment du maritime. Soit. Mais il y a une incohérence majeure à mener cette politique et, parallèlement, à se lancer dans un projet gigantesque de nouveau port.
Dans ce contexte de diminution généralisée largement voulue du transport maritime, ne serait-il pas judicieux de plutôt viser à simplement améliorer les infrastructures existantes et travailler à équilibrer le potentiel des différents ports de l’île (nous avons tant de ports, nous en faut-il encore un autre?), et plutôt chercher dans quels domaines les centaines de millions d’euros du projet de la Carbonite seraient vraiment utiles ?
Et bien sûr, encore une fois, concernant ce projet, on cherchera en vain les dossiers, les études qui ont été commandées… Tous ces grands projets, comme nous l’avions souligné en d’autres occasions, restent opaques, bien que réalisé avec l’argent des contribuables.
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Savoir que Paul Giacobbi est un excellent économiste est de peu de réconfort quand on observe l’évolution des données économiques et sociales de la Corse durant sa mandature. De toute évidence, ses compétences n’ont pas suffi à protéger la Corse, notamment en termes de chômage, ou à la rendre attractive, malgré des événements majeurs comme le Tour de France. Elles ne le protègent pas non plus, apparemment, du désir de laisser coûte que coûte (à la collectivité) son empreinte sous la forme d’un grand projet…
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