1000 idées pour la Corse

1000 idées pour la Corse et pour le monde

Idée n°136 : revoir un peu d’histoire de France

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C’est un article stupide du Point qui ressort chaque année pour l’anniversaire de la bataille de Ponte Novu, qui moque la manière dont les Corses y ont perdu. En Corse, il a beaucoup énervé, évidemment. Il y a de quoi, faut dire, étant donné la forme assez minable du papier. Je pourrais en dire ici tout le mal que j’en pense, mais ça ne serait pas vraiment drôle.

Ce qui est beaucoup plus rigolo, et instructif, c’est de se pencher sur la glorieuse histoire militaire de ceux qui nous méprisent tant. Parce qu’avant de se moquer du David qu’il a écrasé, le Goliath aurait pu s’examiner le palmarès pour voir si vraiment, il a de quoi pavoiser.

La France, c’est tout de même la géniale ligne Maginot, la déculottée de Dien Bien Phû, l’armée-parfaitement-préparée-jusqu’au-moindre-bouton-de-guêtre de 1870, pour rester dans l’histoire récente. Mais l’histoire du ridicule militaire hexagonal remonte beaucoup plus loin, au moyen âge. Dès que la France existe, elle fait des bourdes militaires, c’est plus fort qu’elle. C’est pas que les soldats français manquent de courage, pas du tout. C’est plutôt le management qui n’assure pas. La constante à l’œuvre est la suivante : régulièrement, la France, trop sûre d’elle, part à la bataille sans préparations, ou se laisse dépasser techniquement ou tactiquement, et se prend une grosse baffe, souvent contre des ennemis plus petits qu’elle. Ses défaite, elle les doit principalement à son arrogance et à son retard culturel chronique. Enfin, je ne veux pas vous influencer, je vous laisse juge :

1. Les choses commencent sans doute à Roncevaux, en 778. De retour d’Espagne, s’apprêtant à passer par un col escarpé, l’armée française ne trouve rien de mieux à faire que d’énerver les Vascons en pillant Pampelune. Elle y perdra son arrière-garde, et mettra trois siècle à inventer une version honorable de la journée.

2. La guerre de 100 ans débute d’entrée par une défaite navale, en 1340, dans ce qu’on retiendra sous le nom de bataille de l’écluse. Déjà, aller se frotter sur mer aux Anglais, faut se dire par défaut que c’est pas une bonne idée. Mais mettre à la tête de la flotte deux administrateurs n’ayant aucune compétence marine et militaire, c’est l’idée géniale de Philippe VI.

3. Le même Philippe VI inaugure quelques années plus tard un cycle magistral. En 1346, la bataille de Crécy est l’une des humiliations les plus remarquables de toute l’histoire militaire. En nette infériorité numérique (un pour deux ou un pour trois, les chiffres sont imprécis), les troupes anglaises d’Edouard III infligent une rouste mémorable à l’armée française de Philippe VI. En cause ? Un commandement français lamentable, couplé à une innovation anglaise dans l’utilisation de l’archerie. Toutes les boulettes tactiques possibles y sont réalisées avec une imagination remarquable : envoi en première ligne d’arbalétriers avec des cordes distendues, attaque d’une position renforcée face au soleil, charge de cavalerie dans la boue contre une rangée de pieux, massacre de leurs alliés génois… Pur génie militaire français, donc. L’héroïsme réel mais désordonné de la chevalerie française ne peut rien contre tant de génie.

4. Là où on confine au génie, c’est sur la suite : à Poitiers, 10 ans plus tard, c’est Jean le Bon qui s’y colle, face aux mêmes Anglais. Je vous la fais courte. Malgré une supériorité numérique importante et l’héroïsme (relatif) de sa noblesse, l’armée française désordonnée se fait massacrer par les archers anglais en position défensive forte. C’était déjà pas malin la première fois, là, ça commence à faire lourd.

5. Du coup, les Français se calment un peu sur les grosses batailles, et peaufinent leur tactique en attendant Azincourt. En 1415, ils ont eu le temps de tirer les enseignements des deux déculottées précédentes. C’est donc fort logiquement que la cavalerie lourde française désordonnée, malgré une supériorité numérique importante, se fait massacrer dans la boue par les archers anglais en position défensive forte. Voilà, voilà…

Il faudra l’intervention d’une pucelle pour sauver la France, après cette série de lamentables batailles.

6. Pas brillante non plus, la défaite de Pavie en 1525. En fait de prendre la ville, les Français se font surprendre par une sortie des assiégés. Sur le conseil de son génial conseiller Guillaume Gouffier de Bonnivet, François 1er refuse de sonner la retraite, conduisant à la destruction totale de l’armée. Encore une fois, ce n’est pas une question de manque de courage : Guillaume lui-même se jette au milieu des lignes ennemies et se fait déchiqueter. On est plutôt dans le domaine du Darwin Award. Et comme la date sonne moins bien que 1515, ce n’est pas cette bataille que l’on enseigne aux écoliers de France.

Après ça, ça semble aller un peu mieux côté art militaire français. On finit par comprendre qu’il faut intégrer les avancées tactiques et techniques, on se spécialise dans l’artillerie, la poliorcétique et les guerres intestines (en se battant entre Français, au moins, on est pas emmerdé par l’ingéniosité étrangère), ça semble rouler.

7. Jusqu’à ce jour de novembre 1757 où l’armée française, malgré un avantage numérique considérable, se fait défoncer par la cavalerie prussienne de Frédéric II à Rossbach. Défaite encore une fois largement due au commandement, notamment au Prince de Soubise, placé là par la marquise de Pompadour, pour vous situer le sérieux de la direction des ressources humaines de l’époque. Mais aussi à la technique et à l’entrainement. Les prussiens tirent plus vite, et bougent mieux sur le dancefloor. Imparable pour une armée française lente, lourde, et aussi, mal renseignée. Le plus embêtant, c’est qu’on est au début de la guerre de 7 ans, et que les conséquences stratégiques vont être majeures. Du coup, comme la France a tout perdu, elle se rabat sur la Corse.

8. Juste pour rappel, avant de battre l’armée corse à Ponte-Novu, les Français se reprennent une déculottée à la bataille du Borgu, en 1768, face aux troupes de Pascal Paoli. Et avaient subi une autre défaite au même endroit en 1738. La France à l’époque, c’est 200 fois la population de la Corse (ça l’est toujours), un état millénaire, face à un tout jeune état à peine constitué (et même pas constitué en 1738). Imperdable. Et pourtant perdu 2 fois. Pas glorieux.

Je vous passe Trafalgar, la retraite de Russie et Waterloo, là, c’était nous qui avions envoyé un des nôtres troller la République pour nous venger de l’affaire précédente.

9. Tout ça nous amène à Napoléon III et sa lumineuse expédition du Mexique, tentant courageusement de profiter de la guerre de sécession pour aller jouer dans le pré carré des Etats-Unis (pour une fois, il y avait une vision). L’armée française, malgré un avantage technique considérable et quelques faits d’armes héroïques, se retire piteusement quelques années plus tard.

10. Bien échauffée par cette petite mise en jambe, 3 ans plus tard, la France reçoit une raclée magistrale à domicile de la part de la Prusse. Pourtant « parfaitement préparée », l’armée française allait inaugurer sa première défaite de Sedan le 1er septembre 1870 sur une boulette énorme du maréchal Mac Mahon, et perdre cette guerre quelques mois plus tard.

11. Ca inaugurait une habitude de se faire démolir par les Allemands à Sedan. Après avoir échappé in extremis au plan Schlieffen en 1914, l’état major français refait exactement la même erreur de mal défendre la frontière belge en 1940. Avec comme innovation de compter sur sa ligne Maginot pas finie et pas à la bonne place. Erreur fatale cette fois, aggravée par une incompréhension majeure de l »utilisation des nouvelles armes que sont l’aviation et les blindés, et qui valut à la France de ne pas résister plus longtemps à l’armée allemande que la petite Pologne quelques mois plus tôt.

12. Suivent les guerres coloniales, et la déculottée de Dien bien Phû. Là, l’idée lumineuse de l’état-major, c’est d’envoyer les paras créer une base avancée perdue dans la jungle au fond d’une cuvette et au milieu des Viet-Congs gonflés à bloc pour voir si vraiment les Indochinois tiennent à leur indépendance. Il y tenaient, apparemment. Notons que ça aurait pu marcher, si l’arrogance habituelle n’avait pas sous-estimé totalement les capacités de l’adversaire.

Bref, la France, en matière militaire, c’est pas le meilleur prof qu’on puisse espérer. La prochaine fois qu’un Français rira de Ponte-Novu, glissez-lui juste le lien de ce billet.

Les journalistes, surtout en presse écrite, devraient en tirer quelques leçons, d’ailleurs, si vous voulez mon avis. Le journalisme, c’est une profession particulièrement menacée par l’évolution technique. Entre Internet, l’automatisation de l’information, et l’arrivée de l’intelligence artificielle, il y a sans doute des leçons tactiques à tirer de l’histoire de France et de son armée toujours en retard d’une guerre. Je ne maîtrise pas assez le monde du journalisme pour savoir quelle stratégie adopter, mais j’ai dans l’idée que dans cette guerre comme dans les autres, il faut savoir éviter de se positionner au fond de la cuvette.


(pas au fond de la cuvette, d’ailleurs, on peut citer Antoine Albertini et ses Invisibles. Le genre de journalisme auquel je souhaite une longue vie)


Sauf mention contraire, le contenu de cette page est sous contrat Creative Commons

Azincourt

 

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Written by fabien

18 juillet 2018 à 17:41

Publié dans Sans classement fixe

2 Réponses

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  1. bien vu

    JeanHuguesRobert

    19 juillet 2018 at 09:54

  2. Lire de Suzanne Citron  » Le Mythe National. L’histoire de France revisitée « . Les Editions de l’Atelier. L’Atelier de poche

    E Zinzale

    19 juillet 2018 at 14:12


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