1000 idées pour la Corse

1000 idées pour la Corse et pour le monde

Idée n°33 : d’abord, ne pas nuire

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C’est la première chose, paraît-il, qu’on apprend en école de médecine : face à un patient, un organisme vivant en difficulté,  l’important est d’abord de ne pas aggraver la situation. Je ne sais pas si les médecins, une fois en activité, se le rappellent, mais je suis certain en tout cas que nous, Corses, et humains en général, aurions tout intérêt à appliquer ce principe de bon sens à nos rapports avec notre environnement.

Nous disposons aujourd’hui de moyens de destruction massive. Je ne parle pas d’armement, mais bien des outils à la disposition de tous, en tout cas de toutes nos petites entreprises : bulldozers, tracto-pelles, tracteurs et leurs accessoires… Nous devrions considérer comme primordial d’apprendre à utiliser ces outils avec une certaine retenue :

Là où je vis actuellement, on construit abondamment. Bon, c’est un fait, on a besoin de loger les touristes, et accessoirement les humains qui peuplent cette île. Pour être exact, avant de construire, on détruit d’abord beaucoup : anciens jardins en terrasse, collines à oliviers, sites préhistoriques… Sans trop nous poser la question de la valeur de ce qui était là avant les travaux.

C’est ainsi que nous, qui nous situons en contrebas d’une zone en cours de construction (constructions très modestes, d’ailleurs, en comparaison de ce qu’il se fait un peu plus loin), recevons systématiquement, à chaque pluie, les mètre-cubes de sol et de sable arrachés aux pistes et aux terrassements qui nous surplombent : le jardin, au sol très fertile, est peu à peu recouvert de sable. Au total, pour une villa de 150 mètres carrés construite un peu plus haut en ce moment, ce sont plusieurs milliers de mètres carrés de sols qui sont ainsi progressivement arrachés, emportés, ou recouverts…

A moins d’un total renversement de situation, ce sont quelques centaines de logements qui continueront à être construits chaque année pour la seule Balagne. Si nous ne changeons pas nos méthodes, des centaines d’hectares de sols fertiles, peut-être des milliers disparaîtront ou seront endommagés dans la décennie.

Mais il y a pire : la destruction des terres agricoles, souvent par des gens qui ont les meilleurs intentions : on m’a demandé il y a quelques mois de donner mon avis sur un grand terrain à flanc de colline, sur lequel les propriétaires envisagent de créer un centre de découverte de la nature ou quelque chose d’approchant. J’y ai trouvé un lieu miraculeusement préservé (la zone a brûlé plusieurs fois dans les années 80, je m’en souviens bien, mais ce lieu, dans un repli de terrain, a échappé à la destruction par les flammes).

A l’ombre de chênes centenaires, sur une pente assez forte, j’ai trouvé le meilleur sol de la région en dehors de jardins en terrasse. Un humus forestier profond, frais, vivant. Un sol, quoi.

Mais ces propriétaires voulaient faire vite, et n’étaient pas souvent sur place. Ils ont donc fait ce qu’on fait aujourd’hui : afin d’accéder plus facilement à l’ensemble de leur propriété, qui s’étage sur tout le flanc de la colline, ils l’ont traversé d’une piste de 4m de large, de haut en bas. Comme la pente est forte, la piste est en lacets, ce qui lui fait couvrir une bonne part de la surface du terrain.

Il fallait débroussailler le terrain. Pour faire vite et propre, on a choisi d’utiliser un bulldozer, qui a creusé sur l’ensemble du terrain sur plusieurs centimètres de profondeur pour déraciner toute végétation. Une végétation dont les racines avaient efficacement protégé le sol de l’érosion jusque-là.

Que des particuliers fassent des erreurs, ça se comprend. Mais que la puissance publique les encourage est plus grave. Les éleveurs, qui devraient normalement être des agents essentiels de la gestion du territoire, sont encouragés par la réglementation à détruire leurs sols.

Des normes, probablement édictées par des gens qui confondent la Corse et la Normandie, encouragent les éleveurs Corses à accumuler les têtes de bétail sur des terrains incapables de les supporter. Pour toucher une pleine prime, un éleveur ovin doit ainsi occuper ses sols à raison d’environ 6 brebis par hectare. C’est probablement trois fois plus que ce que peuvent accepter nos sols largement abîmés. La brebis Corse devient une arme de destruction massive. Un éleveur qui souhaiterait réduire la pression du pâturage sur ses terres se verrait pénalisé, puisqu’on diminuerait sa prime.

Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Il est impératif de commencer à comprendre qu’on ne gère pas l’environnement comme une exploitation minière. Tout travail de terrassement devrait passer par une évaluation de son impact environnemental. L’usage d’engins mécaniques devrait être conditionné à l’apprentissage des conséquences de leur utilisation. Les aides à l’agriculture devraient inciter les agriculteurs à préserver l’environnement plutôt qu’à le détruire, et la puissance publique devrait oeuvrer à donner à tous les moyens d’agir dans le bon sens.

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Written by fabien

17 janvier 2010 à 10:41

Publié dans Réflexions théoriques

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3 Réponses

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  1. Si tu pouvais être entendu!

    Tout n’est peut être pas irrémédiablement perdu mais tu as raison ,il y a urgence.

    minana

    18 janvier 2010 at 09:37

  2. Disons qu’il y a des éléments contradictoires :
    Les gens sont de plus en plus sensibilisés aux questions environnementales, je suis même parfois surpris de la vitesse à laquelle ça va.
    Mais il faut des années de formation pour comprendre vraiment les problèmes liés à l’environnement.
    On se retrouve donc avec des gens pleins de bonnes intentions mais qui ne comprennent pas bien les problèmes, les hiérarchisent mal, les relient mal entre eux (quel rapport entre l’érosion des sols et les changements climatiques ?).

    Ensuite, je pense qu’il y a un second problème qui est celui du temps. Même si nous étions tous parfaitement d’accord sur les objectifs, il faudrait beaucoup de temps pour que la machine qui est en marche actuellement s’arrête ou change de direction.

    Sauf si une crise majeure vient tout arrêter, ce qui est envisageable. Mais là, ça ne sera drôle pour personne.

    fabien

    18 janvier 2010 at 10:16

  3. […] Nous qui nous targuons de baser notre développement sur le tourisme, nous ferions bien de nous interroger sur ce que viennent chercher chez nous nos visiteurs. Du soleil, la mer, sans doute. Mais ils ne viendraient pas si nombreux en Corse (il y a moins cher pour se faire bronzer le cul) s’ils n’y cherchaient pas autre chose. Cet autre chose que nous détruisons année après année à coups de bulldozer. […]


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