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Idée n°72 : comprendre l’agroécologie

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Bien, maintenant qu’on est tous d’accord, même l’ONU, sur le fait que l’agroécologie est l’avenir de l’homme, il nous reste à comprendre exactement ce que c’est, comment ça marche, et surtout, comment ça pourrait s’adapter chez nous. 1000 idées pour la Corse met à votre disposition ses compétences inouïes en la matière pour vous éclairer un peu (je me focalise un peu sur l’agriculture ces temps-ci, mais bon, c’est le printemps).

L’agroécologie, qu’est-ce que c’est ?

Pour faire simple, c’est la science qui réconcilie l’agriculture et l’écologie, et l’ensemble des pratiques qui en découlent. L’objet de l’agroécologie n’est pas la plante, ni l’animal, ni le sol, mais l’écosystème. Et même l’éco-socio-système : l’agroécologie vise à produire ET à protéger écosystèmes et systèmes sociaux, au contraire de l’agriculture industrielle, productive mais destructrice de l’environnement et co-responsable de la désertification rurale et du chômage.

En agroécologie, ce n’est pas quantité OU qualité, agriculture OU écologie, emploi OU productivité, activités humaines OU biodiversité mais tout ça à la fois.

Evidemment, cela nécessite un haut niveau de formation des producteurs, mais aussi de l’ensemble des acteurs du territoire, consommateurs inclus.

L’agroécologie, comment ça marche ?

L’agriculture industrielle fonctionne sur un modèle linéaire : on lui fournit des intrants (engrais, pesticides, fournitures diverses), qu’elle transforme en bout de chaîne en produits de consommation. L’inconvénient est qu’un tel système ne peut fonctionner que si on lui apporte sans cesse de quoi le nourrir : pas d’intrants, pas de production. Le second inconvénient d’un système linéaire est sa production de déchets. Dans le cas de l’agriculture : nitrates, CO2, pesticides dans l’environnement, boues d’épuration…

De plus, pour assurer les niveaux de production visés, l’apport en intrants doit être massif. Outre les problèmes de pollution, se posent des problèmes de disponibilité et de coût : ces dernières années, la plupart des engrais a connu une augmentation massive de prix, et on s’interroge sur leur disponibilité future (par exemple pour les phosphates). De plus, ces apports massifs d’intrants induisent un important gaspillage. Pour l’azote, par exemple, certains systèmes de culture peuvent approcher 50% de pertes par lessivage des sols. On retrouve ensuite cet azote sous forme de nitrates, polluants des rivières, des plages et des nappes souterraines.

L’agroécologie fonctionne autant que possible sur un système cyclique. Elle vise autant que possible à supprimer les pertes et à recycler les éléments fertilisants. Elle sait aussi capter efficacement de la fertilité de deux sources naturelles : l’atmosphère et le sous-sol. Elle s’attache enfin à maintenir les équilibres écologiques, à toutes les échelles, ce qui diminue fortement les maladies et attaques parasitaires sur les cultures.

Pour supprimer les pertes, elle limite la présence d’éléments solubles dans le sol. Par exemple en utilisant les plantes. Placées judicieusement dans le temps et l’espace, celles-ci captent les nutriments en cours de lessivage et évitent qu’ils soient perdus pour l’écosystème cultivé. Les engrais verts, les arbres (dont les racines sont présentes en permanence dans le sol), mais aussi des plantes spontanées ont cette fonction (et quelques autres). La production de fumiers et de composts complète cette action des plantes. En élevage, notamment, plutôt que de choisir des modes de production générateurs de lisiers (élevage sur caillebotis), on utilise des litières de matières organique (paille…), qui formeront avec les déjections des animaux un fumier stable, très peu lessivable. Plus généralement, en misant sur l’intelligence et la formation de ses acteurs, l’agroécologie s’assure d’une utilisation parcimonieuse des intrants, limitant automatiquement les pertes.

Les éléments fertilisants, présents dans le sol sous forme non soluble, sont progressivement mis à disposition des plantes par la vie biologique du sol (champignons, algues, bactéries, micro et macro-faune), qui sait très bien faire cela.

Mieux encore, la symbiose des plantes et de la vie biologique du sol sait capter les éléments fertilisants de l’environnement pour les fournir à l’écosystème cultivé. Les plantes captent le CO2 de l’atmosphère, le transforment en sucres, dont elles transmettent une partie par leurs racines à des bactéries dites lithophages, capables de dégrader la roche-mère et d’en tirer ses minéraux. D’autres bactéries sont capables de capter l’azote de l’atmosphère pour le fournir à certaines familles de plantes (les plus connues sont les légumineuses). Ainsi, un écosystème naturel est capable de se procurer par lui-même les éléments fertilisants dont il a besoin (les forêts et prairies naturelles n’ont pas attendu l’invention des engrais pour pousser).

L’agroécologie est capable d’optimiser, d’accélérer ce fonctionnement, afin de répondre au besoin de rendement de l’agriculture.

Enfin, l’agroécologie, parce qu’elle ne se contente pas de s’occuper des champs cultivés, mais s’intéresse à l’ensemble des communautés humaines, est à même de fournir des réponses aux communautés, afin de recycler, dans la mesure du possible, les déchets organiques de l’activité humaine et de les réintégrer dans l’écosystème productif. Le champ d’application le plus pertinent pour l’agroécologie n’est donc pas l’exploitation agricole, mais plutôt la collectivité, à l’échelle des communes au moins, et si possible de territoires cohérents (chez nous, chaque microrégion ou chaque bassin versant pourrait constituer un territoire cohérent).

En recyclant, en auto-produisant et en limitant les pertes, l’agroécologie est parfaitement capable d’assurer aux écosystèmes cultivés le renouvellement durable de leur fertilité, et une productivité parfaitement comparable à celle de l’agriculture industrielle la plus performante.

Le second point important concerne la santé. Des plantes, des animaux, et des humains. En conservant les équilibres, en ne forçant pas la croissance des plantes et des animaux,en choisissant des variétés résistantes, en utilisant les synergies de cultures, l’agroécologie permet de limiter considérablement le recours aux pesticides. En développant un large arsenal de réponses biologiques aux agressions résiduelles (utilisation d’auxiliaires de culture, d’extraits de plantes…), elle permet à terme de se passer totalement de pesticides de synthèse.

L’agroécologie, comment ça sauve les humains ?

En n’assistant pas les plantes par des béquilles chimiques, l’agroécologie les force à développer leurs propres défenses face aux agressions extérieures. Les plantes développent alors des quantités importantes de substances protectrices telles que les antioxydants. En consommant ces plantes, nous bénéficions de ces antioxydants.

En refusant l’élevage industriel, en préférant une gestion hautement technique des pâturages, l’agroécologie fournit des produits animaux beaucoup plus équilibrés, notamment en acides gras (la dégradation du rapport oméga 3 / oméga 6 dans notre alimentation depuis 50 ans est connue pour être une cause majeure d’inflammation menant à divers problèmes de santé graves).

Indirectement, en participant à la prise de conscience de la surconsommation de produits animaux, en impliquant le consommateur dans la compréhension des enjeux de l’alimentation, elle participe à l’amélioration de notre santé.

En diminuant les coûts liés aux intrants, et par leur réallocation dans la rémunération des agriculteurs, elle améliore leur niveau de vie et permet la création de nombreux emplois hautement qualifiés. A l’échelle de la France, le nombre d’emplois supplémentaires induits par une conversion à l’agroécologie serait de l’ordre de un à deux millions. En Corse, ce sont 10 à 20 000 emplois qui pourraient être créés (en Balagne : 1000 à 2000).

En faisant appel à l’intelligence préférentiellement à la puissance mécanique et chimique, ces emplois seraient des emplois extrêmement valorisants. Nous devons comprendre que le premier bénéficiaire de l’agriculture doit être l’agriculteur, le paysan, avant le consommateur. Quand les agriculteurs pourront tous vivre décemment de leur profession, en seront fiers, et penseront qu’agriculteur est un métier parfaitement valable pour leurs enfants, alors les consommateurs bénéficieront automatiquement d’une production abondante et de qualité. Quand les campagnes se repeupleront d’agriculteurs qualifiés, alors, naturellement, le processus de désertification sera stoppé.

L’agroécologie renforce les liens et initie une coopération entre les producteurs, les consommateurs, les collectivités, les organismes d’appui technique. La relocalisation étant un maître-mot de l’agroécologie, les distances (géographiques et symboliques) entre les différents acteurs sont considérablement réduites. La compréhension réelle des enjeux écologiques est alors largement facilitée. Les réponses aux menaces, et leur anticipation, en sont facilitées.

L’agroécologie, comment ça sauve la planète ?

En réincorporant dans les sols de grandes quantités de carbone issu de l’atmosphère, en augmentant la biomasse présente dans les écosystèmes cultivés, en fournissant des quantités importantes de bois d’oeuvre stockant du carbone, l’agroécologie participe à la réduction de la concentration de CO2 atmosphérique. Cette quantité de CO2 soustraite à l’atmosphère est tout sauf négligeable.

Dans les phases de reconstitution des taux d’humus (principalement constitué de carbone) dans les sols, phase qui peut se prolonger quelques dizaines d’années, c’est environ une tonne de carbone qui est captée chaque année par hectare de sol, ce qui correspond à environ 3 tonnes de CO2. Soit pour la France, environ 100 millions de tonnes de CO2. Cela correspond à peu près à la moitié de la quantité totale de CO2 émise par le secteur des transports en France, rien que pour la capacité d’absorption des sols !

L’agroécologie participe à limiter les changements climatiques, mais elle participe aussi à les supporter : plus un écosystème est complexe, plus l’arbre y est présent, plus le sol est de bonne qualité, et moins il souffre des variations climatiques, qu’elles soient ponctuelles ou plus générales (voir ici pour en savoir plus).

L’agroécologie permet de limiter les pollutions, la consommation d’eau (en évitant de laisser des sols à nu, en choisissant des cultures adaptées…), stoppe l’érosion (elle reconstitue même les sols), et implique l’ensemble des communautés dans la compréhension des mécanismes écologiques, sociaux, politiques et économiques (par le lien entre les différents acteurs).

Elle augmente la biodiversité (en multipliant les espèces cultivées, en introduisant les arbres dans les cultures, en laissant la place aux plantes sauvages), et augmente ainsi les surfaces cultivables et gérables par l’homme sans préjudice pour l’environnement. Cette augmentation des surfaces cultivées et gérées est aussi garante de la diminution des risques d’incendie.

L’agroécologie, comment ça s’adapte chez nous ?

Comme nous l’avons vu dans l’idée précédente, l’agroécologie est en Corse un fait historique : notre agriculture traditionnelle comportait l’essentiel des traits fondamentaux de l’agroécologie. Quelques aménagements historiques sont encore présents (châtaigneraies, jardins en terrasses, sources, systèmes d’irrigation…). Il conviendrait de les sauvegarder, de les remettre en service, et d’y adapter nos techniques et connaissances scientifiques modernes. Nos anciens étaient surtout très doués (même si j’imagine que ça ne devait pas être facile tous les jours) dans la manière de gérer les conflits d’intérêt entre individus pour constituer un système collectif de production. En cela, ils ont beaucoup à nous apprendre. Et nous avons Tempi Fà pour nous rappeler les savoir-faire perdus.

Nous avons à notre disposition un large panel de travaux effectués aux quatre coins du globe en agroécologie, agroforesterie, agriculture de conservation, agriculture biologique, biodynamie, utilisation des bois raméaux, compostage, permaculture… A nous de les adapter à notre territoire, à notre climat, à notre culture.

L’agroécologie ne se focalise pas sur l’aspect « bio ». Bien entendu, une agriculture totalement biologique est le but ultime à atteindre, mais on peut commencer à faire de l’agroécologie en continuant à s’aider d’engrais et de pesticides, et en en réduisant progressivement l’utilisation. Elle ne s’interdit pas non plus l’utilisation de techniques modernes, de mécanisation, mais réfléchit plutôt à leur insertion harmonieuse dans l’éco-socio-système cultivé. Cela permet de faire évoluer progressivement les pratiques, en diminuant le risque de braquer les acteurs par des principes dogmatiques, ou des contraintes de changement trop rapide. Ce sera un plus chez nous.

En résumé, l’agroécologie nourrit son homme, protège l’environnement, la santé, réduit le chômage, rend plus intelligent (et sans doute plus beau), limite le risque d’incendie et est parfaitement adaptable à notre territoire à notre culture et à notre histoire. Qu’attendons-nous pour réaliser qu’elle est l’avenir de la Corse ?

Manifeste pour un droit au logement digne pour tous

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Written by fabien

16 mars 2011 à 11:55

2 Réponses

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  1. Plein de bon sens! Quand on pense que l’invention de l’agriculture industrielle intensive date d’environ 50 ans, c’est incroyable qu’elle soit considérée par beaucoup comme LA norme. Ce système absurde coûte bien plus d’énergie qu’il n’en produit. Du style: il faut 10 calories d’énergie pour produire 1 calorie de laitue… Si les rapports d’experts sur la fin du pétrole bon marché dans les 20 ans à venir se vérifient, ça reviendra trop cher de fabriquer des engrais + de faire rouler des tracteurs + de chauffer les serres + de pomper de l’eau + de transporter les produits à milliers de km, etc. Si on veux continuer à manger, va falloir être ingénieux… ou bien se mettre sérieusement à l’agroécologie!

    pusillus

    30 mars 2011 at 22:34

  2. Sincèrement, merci…

    Ghjada Lurcu

    14 janvier 2014 at 13:34


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